Malgré leur croissance démographique rapide, les villes sont largement ignorées lors des discussions sur le conflit et l’insécurité dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Or il est crucial de consacrer des recherches à la question de l’insécurité dans les villes pour mieux comprendre l’engagement de l’Etat et de la société autour des prérogatives clés que sont la sécurité et la justice.
Tout au long de l’histoire coloniale, les villes ont joué un rôle clé dans l’élaboration de plans visant à maintenir l’ordre parmi les sujets coloniaux et à les discipliner. Certaines pratiques coloniales de maintien de l’ordre perdurent aujourd’hui, et de nouvelles sont apparues depuis l’indépendance. A partir des années 1980, le contrat social entre l’Etat et la population a été modifié, l’Etat se retirant progressivement de ses principales obligations, notamment la sécurité.
La situation à Bukavu, objet de ce rapport, est fortement liée à son expérience de la guerre, de la rébellion et de l’occupation, notamment au génocide rwandais et à ses répercussions, ainsi qu’aux Guerres du Congo des années 1990 et du début des années 2000. L’exode rural persistant, les pressions croissantes sur les terres urbaines, les spoliations et actes d’oppression commis par les forces d’occupation et la facilité avec laquelle on peut se procurer des armes de petit calibre sont autant de phénomènes qui ont mis à rude épreuve la cohésion sociale des habitants de Bukavu.
Face à une insécurité urbaine grandissante, les habitants de Bukavu ont décidé de prendre les choses en main, soit en se livrant à des activités criminelles pour survivre, soit en se mobilisant contre celles-ci. L’improvisation, la débrouille et l’« auto-prise en charge » sont devenues des logiques de l’action personnelle ancrées dans l’esprit des habitants de la ville.
L’insécurité fait partie du quotidien de la plupart des habitants de
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Bukavu. Dans deux de ses quartiers les plus agités, Essence et Nkafu, cette insécurité revêt des formes d’une diversité stupéfiante. Elle épuise l’énergie physique et mentale des habitants, est chronophage et anxiogène et nuit au sentiment de confiance au sein des quartiers.
Certains individus tirent également parti de l’insécurité. Face à un Etat qui se retire des sphères de la sécurité publique et à la stagnation de l’économie formelle, de nombreux habitants de Bukavu ont conçu des espaces pour gagner leur vie là où des opportunités se présentent. Une économie complexe s’est ainsi développée autour de l’insécurité, avec une certaine complicité collective.
Malgré les difficultés quotidiennes des habitants de Bukavu pour joindre les deux bouts, la majorité d’entre eux réussissent à rester à l’écart de cette économie, faisant souvent preuve d’une créativité et d’un courage remarquables pour répondre aux nombreux défis qui lui sont associés. Il existe toutefois des limites indéniables à ce qui peut être entrepris pour lutter contre un système dont dépend un si grand nombre.
La sécurité et l’insécurité sont devenues des problématiques intime- ment liées. Au cœur de ce système s’exercent des tensions entre les forces structurelles et le rôle des personnes affectées par celles-ci. Cela a engendré un ordre ambigu dans lequel une pluralité d’acteurs est en concurrence pour parvenir à un objectif pratiquement irréalisable: à la fois survivre, prospérer et garantir la sécurité.
Le présent rapport suggère cinq domaines à prendre à compte par les entités souhaitant lutter contre l’insécurité à Bukavu:
Soutenir et investir dans la création d’espaces urbains sécurisés, par exemple en étendant l’éclairage public et en fermant les maisons closes illégales;
S’engager en faveur de la réforme de la police. Les précédents efforts des bailleurs ont enregistré certaines réussites sur lesquelles il faut s’appuyer, dans lesquelles il faut investir et qu’il est important de reproduire;
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Mobiliser le potentiel positif des jeunes en proposant des alter- natives à l’économie de l’insécurité;
S’appuyer sur les meilleures pratiques locales pour lutter contre l’insécurité, rétablir les comités de sécurité au niveau des avenues et redynamiser le rôle important des cadres de base;
Encourager une inclusion sociale partant de la base, notamment en instaurant des espaces sécurisés propices aux rencontres entre acteurs de la sécurité urbaine, cadres de base et communautés locales.
Un systeme d’insecurite par Michel Thill – RVI Projet Usalama (2019)Télécharger