« NOUS SOMMES DES MORTS VIVANTS »

« NOUS SOMMES DES MORTS VIVANTS »

Novembre 2023, alors que nous sortions de la ville d’Uvira, sur les motocyclettes, nous nous sommes arrêtés à Sange. Après les procédures administratives que nous avions faites, la route vers le camp[1]des réfugiés burundais était désormais ouverte. Arrivés sur place, l’on pouvait observer la promiscuité dans laquelle ces acteurs et demandeurs d’asiles vivaient. Des abris en tentes bleus et d’autres faits des sachets entourent le camp. Parce que le camp ne peut contenir tous ces acteurs, certains Burundais sont accueillis et habitent avec leurs enfants autour du camp. La Croix-Rouge congolaise, bien qu’elle apporte son appui, chlore de l’eau que ces réfugiés consomment dont un agent se plaignaient de leur resistance. Il y a alors lieu de se demander comment ces réfugiés et demandeurs d’asile burundais vivent dans leurs camps de rassemblement avant d’être déployés à Kamvivira, Mulongwe, Lusenda et Malinde ?

En effet, en date du 15 mai 2015, un putsch ou coup d’État avortait au Burundi. Le général Godefroid Niyombare et d’autres généraux tentaient de renverser le feu Président Pierre Nkurunziza. Cette tentative avait provoqué un afflux des réfugiés burundais aussi bien dans l’Est de la RDC qu’au Rwanda. Citant Plauchut (2015), Muzalia notait que suite à cet incident, environs 105. 000[2] personnes se sont déplacées de force et avaient trouvé refuge dans les pays voisins. Ce flux migratoire avait entraîné ipso facto. L’érection de nombreux camps des réfugiés, pour accueillir les déplacés burundais. C’est dans ce contexte que fut créé le camp de rassemblement des réfugiés situé dans la cité de Sange, en chefferie la plaine de la Ruzizi.

Situé à moins de cinq kilomètres de la frontière, le site de Sange, est appelé aussi « 1er » parce que tous les réfugiés burundais, avant d’être installés définitivement dans les camps de Lusenda ou de Malinde, doivent y passer pour identification et fichage. Ensuite, ils peuvent être dirigés à Uvira -centre avant d’être conduits à Fizi.  Malheureusement, pour certains, il serait devenu un « camp permanent de fait »[3]en dépit de sa promiscuité avec le Burundi. Notons qu’en novembre 2023, le camp de Sange abritait dix mille réfugiés burundais[4] qui interagissaient avec la communauté hôte, les habitants de Sange.

Le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR)  bureau du Sud-Kivu et la commission nationale pour les réfugiés (CNR) considèrent un camp de transit pour réfugiés comme un lieu temporaire d’accueil et de protection garantissant à ces derniers les soins de santé, la nourriture et l’eau potable. Ainsi, ces camps sont, au départ, conçus pour faciliter le processus d’enregistrement des personnes déplacées, en leur fournissant un lieu sûr à court terme et en les orientant vers des solutions durables. C’est entre autres la réinstallation dans un pays d’accueil ou le rapatriement dans leurs pays d’origine selon leur volonté. Subséquemment, les réfugiés devraient y être identifiés avant d’être installés sur des sites beaucoup plus sécurisés et souvent loin de la frontière avec leurs pays d’origine. L’implantation du camp de Lusenda ou celui de Mulongwe dans le territoire de Fizi (RDC) à plus d’une centaine de Kilomètre de la frontière burundo-congolaise à Kamvivira mais aussi celle lacustre (Lac Tanganyika), serait motivée par cet argument.

Par ailleurs, les rapports entre les réfugiés et les habitants de Sange entourant le camps sont caractérisés par des hauts et des bas. Comme à Lusenda et Katungulu, les réfugiés burundais ont été au centre des tensions[5] avec les populations hôtes en ce qui concerne les questions d’approvisionnement en eau, en l’accès aux bois de chauffe et les problèmes de terres en marge de celles liées à l’éducation de leurs enfants. Des tensions ont émergé dans certaines zones entre les réfugiés et les populations hôtes au point que des ONG sont intervenues avec des projet de résolutions des conflits entre réfugiés et populations hôtes. Le point de rassemblement des réfugiés burundais de Sange n’est pas non plus exclu de ces dynamiques. Parce qu’ils n’avaient que deux toilettes, ils allaient utiliser les champs des habitants comme lieu d’aisance. S’agissant de services qu’ils rendent à la population de Sange, certains réfugiés se plaignent de ne pas être payés à la fin des travaux effectués. Il faut noter que plusieurs d’entre eux sont des agriculteurs. Pour survivre, ils se rendent à la recherche de travaux champêtres.

La question centrale à laquelle le présent blog tente de répondre est la suivante : Comment expliquer les interactions entre les réfugiés burundais rencontrés au camp de rassemblement de Sange avec les populations dans le contexte de promiscuité, de réduction des aides humanitaires et de conflits armés observés dans la chefferie plaine de la Ruzizi ? Ensuite, deux autres questions se posent, notamment : 1) quelle est la politique de réintégration durable et la situation humanitaire du camp alors que connaissant la capacité d’accueil est trop limité par rapport aux réfugiés ? 2) comment expliquer l’existence d’un camp de transit pendant huit ans, tandis que l’afflux des réfugiés se serait estompé ?

Méthodologiquement, ce blog est parti des entretiens semi-directifs et des focus groups que nous avions organisés avec les réfugiés burundais, certains membres de la communauté d’accueil, quelques humanitaires et d’autres acteurs. Nous nous sommes rendus sur le lieu pendant une période et avions nourri notre observation participante. Quelques images ont été conservées en guise d’illustration.

Outre l’introduction et les constatations, le papier est structuré autour de huit points significatifs. Si dans un premier nous présentons les profils de ces locataires, dans un second nous situons les motivations à la base de la demande d’asile politique ou de refuge. Dans un autre point, nous analysons les liens entre ces réfugiés et les putschistes de 2015. Les points suivants sont centrés sur les questions autour du camp et sa nature, et des mouvements de aller-retour ou pendulaires observés dans le camp. En plus des rapports tantôt paisibles, tantôt tendus entre les réfugiés et la communauté hôte, un autre point analyse des question d’hygiène du camp et l’auto-perception des réfugiés. Enfin, il se clôture par les problèmes liés à la prise en charge institutionnelle.  

  1. REFUGIÉS AUX PROFILS MULTIPLES ?

Selon refugiés, les profils des Burundais qui sont arrivés dans le camp à Sange sont très diversifiés si l’on s’en tient aux motivations à l’origine du déplacement ou du statut des personnes qui cherchent l’asile ou le refuge. S’agissant des motivations de la fuite, trois catégories de réfugiés se sont dégagées : la première est celle de ceux qui ont fui les violences qui ont caractérisé le contexte d’après le putsch manqué de 2015.  Cette catégorie englobe aussi bien des élites supposées proches des généraux et officiers putschistes et leurs dépendants que des citoyens ordinaires effrayés par le contexte de violence. La deuxième catégorie est celle des personnes victimes de la chasse à l’homme. Parce que suspectées à tort ou à raison de complicité avec les putschistes. Cette catégorie inclut également des membres du parti au pouvoir (CNDD/FDD)[6] en disgrâce. Enfin, la troisième catégorie est celle des citoyens ordinaires, généralement de paysans, dont les terres ont été spoliées par l’État burundais, suite aux travaux du plan urbanistique des routes reliant la ville de Bujumbura à la région de Cibitoke.

1.1.            Les réfugiés politiques associés aux putschistes de 2015

« A cause de ce coup d’État raté, la guerre s’était déclenchée, nous étions obligés de fuir la guerre »[7]

La grande partie des réfugiés se trouvant actuellement dans le camp de rassemblement de Sange «1er» sont majoritairement issus des conflits politiques crées par la défaite du putsch manqué de mai 2015. En effet, après la tentative de coup d’État, e gouvernement de feu Pierre Nkurunziza s’était investi dans une campagne de chasse à l’homme. Le climat de guerre qui prit place et rendit le pays incertain. Des  « Imbonerakure »[8] s’étaient réactivés et « travaillèrent » côte à côte avec l’armée.

1.2.            Réfugiés politiques sans liaison ou implication directe au putsch de 2015

Une deuxième catégorie des réfugiés pourrait être qualifiée de celle qui se considère comme « victimes innocentes de l’ incident de 2015 ». Si les services de sécurité du Burundi, y compris les Imbonerakure, les ont suspectés sans brandir des preuves tangibles de leur liaison directe avec les putschistes, il apparait que cette guerre n’a toléré aucune implication des défenseurs des droits de l’homme qui, dans l’exercice de leur travail quotidien, dénonçaient les exactions des acteurs étatiques sur les populations civiles ou encore des cadres du CNDD/FDD qu’ils supposaient être des traîtres. Un réfugié jadis membre du CNDD/FDD fait partie de cette catégorie et nous déclare ce qui suit :

« … J`étais membre d`un parti politique et agent de sécurité, à cause des poursuites du pouvoir j`ai jugé bon de fuir le Burundi »

De cette déclaration, il est visible que les acteurs dissidents ne furent pas tolérés dans le système.

1.3.            « Ou la guerre civile ou des projets de developpement ? »

L’investissement dans l’immobilier et d’autres infrastructures a constitué la priorité du gouvernement burundais après la déstabilisation des putschistes de mai 2015. La réhabilitation de deux tronçons routiers en a constitué l’activité principale. Dans un premier temps le réaménagement de la route reliant la ville de Bujumbura à Ruhwa a été entamé.  Ensuite, celle reliant la ville de Bujumbura à la frontière congolaise en passant par la commune de Mutimbuzi. Le tracé de cette deuxième route a conduit le gouvernement à expulser plusieurs paysans de leurs terres. Du coup, devenues rares, les terres ont fait l’objet de plusieurs conflits entre paysans qui n’hésitaient pas de recourir à la machette pour sécuriser leurs espaces. Entre temps, les tentatives de résistance paysanne à la « spoliation » faite par l’Etat ont été sérieusement réprimées et beaucoup de victimes, dépouillées de moyens de subsistance, ont été obligé d’aller chercher la vie ailleurs  :

« j’avais fui le Burundi à cause des conflits parcellaires, les gens s’entretuaient à cause des champs et des parcelles »

Plusieurs réfugiés fonciers sont des paysans agriculteurs originaires de Rugombo dans la province de Cibitoke où le gouvernement a récupéré beaucoup plus de terres pour « raison d’intérêt général ». Pour les paysans « l’État avait fait passer la route dans leurs parcelles les forçant ainsi à une vie d’errance ».

  • DU POINT DE RASSEMBLEMENT OU CAMP DE TRANSIT DE FAIT

Le camp « 1er» a été érigé presque spontanément. La présence des réfugiés sur le site a très vite suscité la mobilisation des humanitaires. Aussitôt, 1er est devenu le premier lieu de regroupement des fugitifs. En principe, ces derniers devraient juste y être identifiés, puis conduits dans un deuxième site de transit à Kavimvira /Uvira, le site 2ème à partir duquel la réinstallation « définitive » devrait être faite. Les sites de Lusenda en territoire de Fizi (déjà plein depuis 2016) et Mulongwe en territoire de Fizi (ouvert en 2017) étaient des lieux potentiels pour cette réinstallation mais ils connaissent aussi des tensions et manquent d’assistance[9]. Ces sites avaient déjà reçu plusieurs autres réfugiés qui avaient franchi la frontière congolaise par les postes frontaliers de Kiliba et de Kavimvira durant la même période.

Mentionnant le rapport de UN Refugees Agency du 30 avril 2017, mentionne que 1236 réfugiés burundais ont été enregistrés biométriquement, les nouveaux nés et les regroupements familiaux y compris. Malgré les efforts déployés pour admettre les nouveaux arrivés dans le camp surpeuplé, 1235 demandeurs d’asile séjournaient à proximité des centres de transit en attendant d’être accueillis. A compter le 30 avril 2017, ils ont eu accès à une aide de base mais vivaient dans des conditions extrêmement difficiles, souvent sans abri.

Neuf ans après sa création, 1er est toujours opérationnel. Plusieurs explications pourraient être avancées pour comprendre cette situation. Certaines sont liées au contexte sécuritaire dans la région, d’autres sont consécutives aux exigences internationales en rapport avec l’installation des camps de réfugiés, d’autres enfin sont à chercher dans les difficultés qu’éprouvent pour l’instant le gouvernement congolais à s’impliquer dans la prise en charge des réfugiés dans cette zone, considérée comme une zone rouge, une zone où des milices communautaires sont parvenues à ériger des espaces de pouvoir qui échappent à l’État. Les réfugiés sont ainsi contraints à réinventer le quotidien pour faire face à ces réalités. Face aux nouveaux arrivants, le camp de Lusenda a atteint sa limite de capacité, créant une pression importante sur la fourniture de services de base et essentiels, la surpopulation pose également un sérieux problème de sécurité. Le camp de Sange reste opérationnel.


[1] Yasmine Bouagga, « Camps et campements de réfugiés », Historiens et géographes, 447, 2019, p. 47.

[2] Agathe Plauchut, Burundi: les conséquences d’un coup d’État manqué, Bruxelles, GRIP, 2015.

[3] Cela veut dire qu’initialement, ils devraient rester pendant une durée courte mais ils y passent plus de temps que prévu. Cela devient alors un camp permanent pour eux.

[4] Au moment où nous collections les données, c’est-à-dire novembre 2023

[5] Prince Centwali, « Sange : attention, les réfugiés burundais dans le camp de transit à Sange ne sont pas des « porcs » », La Prunelle RDC, 31 juillet 2023, https://laprunellerdc.cd/sange-attention-les-refugies-burundais-dans-le-camp-de-transit-a-sange-ne-sont-pas-des-porcs/ ; Prince Centwali, « Sange : déshumaniser et diaboliser les autres n’engendrera que des violences ! », La Prunelle RDC, 10 septembre 2023, https://laprunellerdc.cd/sange-deshumaniser-et-diaboliser-les-autres-nengendrera-que-des-violences/.

[6] Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie

[7] Entretien n°1 avec un réfugié, Sange , 9 novembre 2023

[8] Membres de la ligue de Jeunes du parti CNDD-FDD, les Imbonerakure sont perçus différemment. Outre le fait qu’ils soient si militarisés, les Imbonerakure jouèrent un rôle majeure dans le Burundi de Nkurunziza et de Ndayishimiye.

[9] Rfi, « RDC: la tension monte au camp de réfugiés burundais de Lusenda », RFI, 10 janvier 2016, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20160110-rdc-tension-monte-camp-refugies-burundais-lusenda ; TV5MONDE, « VIDÉO. RDC : la peur des réfugiés burundais dans le camp de Lusenda », TV5MONDE, 14 mai 2017, https://information.tv5monde.com/afrique/rdc-la-peur-des-refugies-burundais-dans-le-camp-de-lusenda-26527.

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