Retour circulaire: navigation entre la vie de civil et de milicien à l’est de la RDC

Retour circulaire: navigation entre la vie de civil et de milicien à l’est de la RDC

Retour circulaire: navigation entre la vie de civil et de milicien à l’est de la RDC 

Koen Vlassenroot, Emery Mudinga et Josaphat Musamba

Introduction

Dans cet article, nous introduisons la notion de retour circulaire pour expliquer l’état permanent de la mobilité entre la vie civile et la vie de combattant des jeunes miliciens. Ce phénomène est largement observé dans l’est de la RDC, où des milliers de jeunes congolais entrent et sortent de groupes armés depuis plusieurs décennies maintenant. Alors que la notion de retour circulaire trouve son origine dans les études sur la migration et le déplacement, nous soutenons qu’elle sert aussi de concept utile pour décrire et comprendre les processus incessants de mobilisation armée. En conceptualisant ces processus comme des formes de retour circulaire, nous voulons aller au-delà du discours de remobilisation, dominant à la fois dans la littérature sur le DDR et dans le discours politique. Ce discours tend à être trop penché sur la sécurité, mettant l’accent sur la menace sécuritaire de la mobilisation armée et sur l’échec des programmes de DDR et des institutions qui les soutiennent. Encore plus important, ce discours ignore « l’agenceité » (capacité et décision personnelle) des combattants et les processus plus vastes de socialisation et de rupture sociale, qui sont les principaux moteurs de la mobilisation armée (continue). Nous soutenons que les groupes armés doivent être considérés comme de nouveaux espaces sociaux, fournissant de nouvelles formes de capital social et de construction de nouvelles identités. Le retour circulaire met l’accent sur la capacité des combattants à naviguer entre ces nouveaux espaces et les espaces d’origine.

Déplacement circulaire

Les concepts récemment introduits tels que «migration circulaire», «mobilités circulaires», «retours fractionnés» ou «réfugiés recyclés», reconnaissent tous la mobilité des populations migrantes ou réfugiées et soulignent les expériences migratoires répétées entre une origine et une destination impliquant plusieurs migrations et retours ((Hugo, 2013). Si dans le cadre de la mobilité humaine, la migration circulaire n’est pas un phénomène nouveau, elle n’a été reconnue plus largement que récemment dans la littérature et dans les discours politiques. Néanmoins, la littérature montre qu’il existe peu d’unanimité sur sa définition. Schneider et Parusel f.i. (2015) comprennent la migration circulaire comme « une forme flexible de mouvement répétitif entre différentes destinations ». D’autres définitions soulignent l’impact sur le développement ou sur son caractère volontaire et juridique. Pour le Forum Mondial sur la Migration et le Développement, la migration circulaire désigne «le mouvement fluide des personnes entre les pays, y compris les mouvements temporaires ou à long terme qui peuvent être bénéfiques pour toutes les personnes impliquées, si elles sont volontaires et liées aux besoins de main-d’œuvre des pays d’origine et destination.

La littérature sur le déplacement reconnaît également l’existence dans certains cas d’une condition permanente de mobilité des déplacés internes et des réfugiés, récemment décrite également comme « mobilité pendulaire» ou «retour circulaire». Dans les contextes de conflit, la mobilité pendulaire des personnes déplacées est décrite comme un mode de vie, ou une condition permanente et une stratégie pour rechercher la sécurité et la protection, y compris le retour quotidien vers des zones considérées comme plus sûres pour passer la nuit. En même temps, le retour circulaire fait référence à une dynamique plutôt atypique liée au déplacement qui est le retour des réfugiés dans leurs communautés d’accueil, principalement en raison de l’échec du retour et de la réintégration à la «maison».

Le cycle de mobilisation – démobilisation – remobilisation

Des tendances similaires de mobilité pendulaire peuvent être identifiées parmi les membres des groupes armés. Le cycle constant de mobilisation – démobilisation – remobilisation tel qu’observé dans l’est du Congo, réfère à la fois sur la persistance des moteurs de la mobilisation que sur les échecs des efforts de démobilisation. Ce cycle a été largement documenté, et plusieurs raisons expliquant sa persistance ont été identifiées. Les raisons de son existence incluent la persistance des dynamiques de conflits non résolus; la prolifération d’un nombre croissant de groupes armés à petites échelles, contribuant à une fragmentation du paysage militaire; l’implication croissante des acteurs politiques locaux dans la mobilisation armée conduisant à une ‘démocratisation de la politique militarisée’; les échecs des efforts de démobilisation et de réintégration; et des réponses militaires désincarnées (Vlassenroot and Verweijen, 2017). La plupart des analyses sur cette question de mobilisation-démobilisation n’ont pas prêté attention sur la position des ex-combattants eux-mêmes et leurs motivations à rejoindre régulièrement les groupes armés.

Armed combatants in DR Congo Image Credit: Josaphat Musamba

Une abondante littérature sur les ex-combattants et leur mobilité dans les situations post-conflit a documenté des cas comme le Salvador, la Sierra Leone, le Mozambique, le Libéria, la Colombie, le Burundi et la RD Congo (Wiegink, 2013; Christensen and Utas, 2008; Utas, Themnér and Lindberg, 2014; Nussio, 2011; Enria, 2015). La plupart des analyses qualifient de remobilisation la mobilité pendulaire des combattants, ou la mobilité continue entre espaces combattants et civils. L’on soutient que les combattants, malgré la démobilisation ou la réintégration organisée ou volontaire, risquent souvent de retourner dans la brousse et de rejoindre leurs anciens camarades, ou risquent de passer à d’autres groupes armés. Dans d’autres cas, les combattants répondent à des appels de politiciens ou d’autres ‘Big Men’ qui s’appuient stratégiquement sur des réseaux d’anciens combattants et d’autres jeunes marginalisés pour leurs propres campagnes (politiques) ou pour défendre des intérêts privés, un phénomène décrit par Christinsen et Utas en tant que « politricks » (Christinsen and Utas, 2008). Et dans d’autres cas encore, les ex-combattants sont considérés comme responsables de niveaux d’insécurité persistants en raison de leur implication supposée dans le crime organisé et les réseaux criminels après la fin de la guerre.

Tous ces scénarii traduisent le besoin des programmes de DDR, qui sont considérés comme une partie cruciale des stratégies de consolidation de la paix. Pour Wiegink, qui a étudié le cas de la Renamo au Mozambique, ces programmes partent de deux hypothèses trompeuses. L’une est que « les ex-combattants voudraient naturellement retourner chez eux », sans prendre en considération ce qu’est ‘chez eux’ et comment cela a changé pendant la guerre. La deuxième hypothèse est que les groupes armés sont considérés principalement comme des structures militaires facilement démontables, ignorant le fait qu’ils comportent également un réseau de relations sociales (Wiegink, 2015). Comme le révèle le cas de la Sierra Leone, les réseaux de mobilisation en temps de guerre ont tendance à continuer après la fin du conflit. On peut en dire autant des réseaux de solidarité et de soutien entre ex-combattants. Comme l’observe Wiegink dans le cas de la Renamo, les ex-combattants ne disparaissent pas tout simplement, mais continuent d’être une identité importante dans la politique et la société d’après-guerre.

Ces réalités permettent d’expliquer pourquoi les groupes armés restent une option pour ceux qui les ont quittés même après la fin officielle de la guerre. Alors que le retour à la lutte armée est un processus « profondément multi-couches et est un processus social » (Wiegink, 2015), la même chose peut être dite sur la décision individuelle d’y prendre part. Le récit de la remobilisation occulte toutefois les complexités qui l’expliquent. Il est principalement compris en termes de retour à la violence et au combat, lui-même issu d’une « interaction entre entrepreneurs de la violence, affinités militaires, intermédiaires et motivations sélectives » (Themner, 2013). Encore plus important, il accorde peu d’attention à l’agenceité des combattants, aux processus sociaux plus vastes et au contexte menant à un retour aux combats armés, aux effets de l’adhésion à long terme aux groupes armés et au processus de socialisation que cette adhésion implique. Par conséquent, nous soutenons qu’il est nécessaire de s’éloigner de la question de la mobilité des combattants en termes de remobilisation et de la comprendre comme un processus de retour circulaire, qui décrit plus précisément les aller-retours incessants des combattants.

Retour circulaire dans l’est du Congo

Dans le cas de l’est de la RD Congo, où plusieurs générations de jeunes ont rejoint des groupes armés ruraux, des mouvements rebelles ou des forces de local défense, pendant et après les guerres du Congo, les tentatives de désarmement et de démobilisation ont eu un effet limité. Les structures militaires ont également montré une forte résilience aux efforts de DDR. Les ex-combattants décident souvent de retourner dans ces groupes armés ou de répondre aux opportunités offertes par les groupes nouvellement créés. A Shabunda (Sud Kivu), Kalehe (Sud Kivu) ou Masisi (Nord Kivu) et d’autres régions de recherche, nous avons observé comment les jeunes locaux naviguent constamment entre leur position et leur rôle de combattant et de civil. Faire partie de deux environnements sociaux différents est devenu une condition permanente de la vie et est guidé par une interaction complexe entre dynamiques sociales et politiques, besoins et griefs collectifs et intérêts individuels. Pourtant, en même temps, la mobilité entre ces différents espaces suggère que les frontières entre les sphères civiles et combattantes sont moins strictes que ce que l’on suppose généralement. Néanmoins, ce n’est pas tout le monde qui apprécie de rester dans cet état de mobilité pendulaire. Ceux qui ont reçu des avantages considérables (comme une moto) dans le cadre des programmes de réinsertion ne retournent généralement pas au groupe armé auquel ils appartenaient. D’autres, cependant, ont un accès limité aux opportunités alternatives et trouvent plus difficile de couper les liens avec leurs anciens camarades et commandants. Cela pourrait être dû aux fortes pressions exercées par les commandants rebelles, conduisant à un « retour circulaire forcé» comme nous l’avons observé à Shabunda avec les Raya Mutomboki ou à Masisi avec les membres de l’APCLS. Cela pourrait aussi être le résultat de changements dans les conditions de sécurité et de la nécessité conséquente de protéger la communauté, révélant un état de vigilance permanente des ex-commandants. Ce pourrait aussi être par frustration liés aux avantages et résultats limités de la réintégration dans la société et aux difficultés vécues pendant le retour à la vie civile. Cela pourrait être par nostalgie avec les avantages matériels et sociaux de la vie de combattant, expliqués par un combattant en termes de «kukula kwa bure», ou l’habitude de «manger sans trop d’efforts». Cela pourrait être dû à l’attrait de la médecine dawa, qui est mobilisée comme une tactique de combat tout en fournissant également une orientation spirituelle et une protection aux combattants. Enfin, alors les programmes de démobilisation offrent des stratégies de sortie qui pourraient être considérées comme des moyens pour résister aux groupes armés et à leurs structures de commandement, un retour aux mêmes groupes pourrait constituer une forme de résistance aux efforts de réintégration, aux nouveaux codes de conduite sociaux et aux valeurs auxquelles les ex-combattants sont confrontés et qu’ils considèrent comme ne correspondant pas ou plus à leurs propres normes et valeurs.

Processus de socialisation

En bref, le retour circulaire des combattants est inspiré par une multitude de motivations, d’idéologies, de facteurs et de processus, qui vont au-delà des arguments dominants indiquant les faiblesses du processus de réintégration ou des efforts de mobilisation des « Big Men » en quête d’un pouvoir de négociation accru. Si nous voulons éclaircir les complexités du retour circulaire et développer des réponses adéquates, nous devons intégrer l’agenceité des ex-combattants et les effets à long terme de la mobilisation préalable dans nos cadres d’analyse. Leur promptitude à retourner au combat est en effet largement influencée par les expériences passées et présentes, y compris les défis sociaux et politiques rencontrés après avoir quitté les groupes armés. Ces expériences expliquent non seulement l’attrait au retour, mais aussi les différentes difficultés auxquelles les ex-combattants sont confrontés lorsqu’ils tentent de se réinsérer dans leur communauté. Aussi ces expériences illustrent bien les divisions floues entre différents espaces sociaux. C’est ce qui explique pourquoi la mobilisation armée à long terme devrait être considérée comme un processus de socialisation. La présence dans les groupes armés devrait être comprise comme un moment de rupture sociale autant qu’une expérience de construction d’un nouvel espace social, d’un nouveau mode de vie, d’une nouvelle forme de capital social et, éventuellement, d’une nouvelle identité. La capacité conséquente des ex-combattants à naviguer entre différents espaces définit en grande partie leur réaction à de nouvelles dynamiques politiques ou des défis sécuritaires, à des campagnes de mobilisation et de démobilisation, ou à leurs propres défis et ambitions individuels.

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