Éric Batumike Banyanga
Introduction
La sécurité routière, loin d’être comme une action de réguler la circulation des camions, voitures, motos, charrettes, vélos etc. sur les artères publiques pendant la journée, est devenue un ensemble des dynamiques de régulations nocturnes hybrides fonctionnant le soir avec d’autres normes et d’autres stratégies peu connues et moins perceptibles du commun des mortels dans la ville de Bukavu. Ce blog fait un décryptage quant à ce et participe au débat sur le monopole de la violence physique légitime Wébérienne à l’absence des agents de la police nationale affectés à cette tâche pendant la nuit. En effet, notre étude montre que plusieurs services étatiques, y compris les éléments de la police nationale congolaise affectés à la circulation routière ferment leurs bureaux aux heures normales en dehors de cas exceptionnels, et cela conformément aux textes légaux laissant affalé le drapeau national symbolisant la présence de l’Etat, une attitude associée à l’arrêt des services comme si l’Etat mourait pendant la nuit pour ressusciter le jour suivant. Voilà pourquoi à la tombée de la nuit, on assiste à un autre type de régulation de la sécurité routière par certains jeunes « dynamiques » désœuvrés en lieu et place des éléments de la police routière. Si, à travers un modus vivendi entre usagers de la route et marchés nocturnes ,des arrangements sont souvent conclus, il importe de situer cette dynamique dans son contexte réel sans remettre en cause le monopole étatique de la lutte contre la violence et de la régulation reconnues à la police de circulation routière ,car le plus souvent, la voirie urbaine est de plus en plus envahie par des marchands nocturnes.
Par ailleurs, nombre d’études sur les dynamiques urbaines publiées récemment ont révélé des éléments importants sur les acteurs non étatiques dans la sécurisation et l’insécurisation urbaine (Muzalia 2014, Thill 2019 ; Hendricks 2019, Abedi 2018). En menant cette étude, nous voulons mettre en lumière les pratiques desacteurs qui s’ingèrent dans la régulation « ad hoc » de la circulation routière pour le bien des usagers des chaussés ainsi que les femmes commerçantes fréquentant les marchés nocturnes dans la ville de Bukavu.
En effet, vers des années 2000, les chaussées urbaines dans la ville de Bukavu furent envahies par des « marchés sporadiques » impliquant particulièrement les vendeurs des vivres et des friperies qui sontsouvent traqués par les policiers affectés à l’assainissement de la ville. Ces policiers sont surnommés « Ébola, » par les victimes de leur traque ,pendant la journée alors que ces marchés prospèrent dans la soirée rendant ainsi la circulation complexe, accidentelle et compliquée au point d’induire à l’épineuse problématique de régulation nocturne de la circulation routière alors que les policiers ne clôturent que tard leurs tâches..
Par ailleurs ,on assiste aussi, à la tombée de la nuit, à des check-points érigés cette fois-là par des éléments de la police à certains endroits de la ville fonctionnant comme des ilots de protection, car jugés comme des points chauds et sources d’insécurité urbaine. Cependant, la traversée de ces types d’espace de protection est très souvent négociée. A bien analyser, on se rend compte que des nouveaux acteurs, tels que les SAJECEK, Pomba solutions ou des Bukavu Forces – Vives, apparaissent et s’improvisent dans la régulation nocturne de la circulation routière surtout dans des milieux chauds et agités où ces îlots policiers ne sont pas opérationnels. L’investigation menée dans trois quartiers de la ville de Bukavu, dont deux quartiers de la commune d’Ibanda et un de la commune de Kadutu. Pousse à poser trois grandes questions qui méritent d’êtreposées dans ce blog : Comment expliquer les pratiques d’acteurs non-étatiques dans la régulation nocturne de la circulation roturière ? Quels sont les acteurs impliqués dans la régulation privatisée ? Comment ces pratiques impactent-elles sur les usagers de la route ainsi que sur les commerçants dans les marchés sporadiques nocturnes ?
Les pratiques locales et la régulation routière nocturne privatisée
Les pratiques locales nocturnes de la régulation routière privée dans la ville de Bukavu sont organisées autour des associations des jeunes. Si les règlementations se font, on doit noter que la taxation intervient contre des motards et des taximen pendant la nuit, et que le contrôle de mesures liées aux sens uniques sur les chaussées connues comme telles est de mise. Ensuite, parfois des sanctions ainsi que des amandes sont infligées aux récalcitrants, qui sont à la base des embouteillages. En premier lieu, ces embouteillages sont considérés aussi bien comme une problématique sécuritaire qu’une affaire de survie pendant la nuit dans les quartiers visités à Bukavu. Ensuite, quelques jeunes réunis dans une association semi-structurée dont les objectifs sont tournés vers la règlementation nocturne de la circulation sur le tronçon avenue Industrielle en direction du marché de Kadutu, à l’endroit appelé Tubimbi, dans leurs pratiques « ad hoc ». Ces acteurs non étatiques imposent des taxes aussi bien aux chauffeurs qu’aux vendeurs dont les conséquences se répercutent sur les usagers. Ainsi, certains motocyclistes qui ne se soumettent pas à l’ordre de rouler à « sens unique » reçoivent des coups. Subséquemment, une autre pratique est connue sous la biotypologie du « blocus opportuniste », précurseur des embouteillages. Par exemple, au niveau de l’endroit appelé « Essence » (Quartier Panzi), des blocus opportunistes attirent la curiosité de tout observateur. Même des taximen sont à la base desdits cherchant à embarquer un nombre important des passagers au-delà de la capacité de leurs engins.
Enfin, notre enquête a révélé que certains conducteurs de véhicules non résilients avec leurs anciens pratiques , collaboreraient avec des potentiels voleurs nocturnes dans le but de faciliter la tâche de commission des actes de vols, expropriations contre les passagers à bord des véhicules et sur les piétons : Un vrai deal Chauffeur- voleurs. Il est important de souligner qu’en scrutant les profils des jeunes chauffeurs nous avions réalisé que nombreux d’entre-deux ont été soit des « ex- convoyeurs », ou des ex – parkingiés et/ou ex- vendeurs détaillant de carburant sur cet axe. Face à cet état, certains jeunes de l’avenue Essence, généralement anciens « Parkingiés », s’improvisent en « policiers ad hoc de circulation routière ». Si pour eux, cette action se présente comme une opportunité pour gagner de l’argent en échange aux services rendus principalement aux « patrons » coincés dans les embouteillages avec leurs véhicules. Des questions restent pendantes sur l’efficacité et la durabilité de leurs pratiques étant donné que les membres du mouvement controversé « Pomba Solution » ont été cités dans la réglementation nocturne aux côtés des parkingiés. Que sait-on des acteurs, des discours de légitimation et des modes opératoires ?
Les acteurs, discours de légitimation et modes opératoires
Étudier les acteurs, leurs discours ainsi que leurs modes opératoires, permettraient de comprendre les logiques qui sous-tendent leurs activités, leurs motivations, leurs transformations ainsi que leur vision du monde. On doit noter une « compétition » entre usagers de la route et marchés sporadiques qui envahissent la chaussée urbaine. Si la présence des marchés, où s’approvisionnent les commerçants de la ville de Bukavu et ses périphéries est sujet à controverse, comment situer la question globalement ? Les modes opératoires sont caractérisés par des impasses à la circulation routière, les embouteillages constituent des opportunités des pic-pokers, les ventes des biens pour les commerçants nocturnes, l’échange des services de sécurisation des véhicules contre un « massage». En premier lieu, pendant une impasse de circulation, les vendeuses nocturnes trouvent une opportunité des ventes de leurs marchandises alors que les piétons comme les passagers à bord des véhicules sont en attente. A titre d’exemple, les femmes qui vendent sur la chaussée chez Kibonge ont du mal à écouler leurs produits à l’absence des embouteillages. Ainsi on estime que cette forme d’insécurité routière se présente comme une opportunité de vente pour les uns alors qu’il n’en est pas le cas pour les autres.
Dans un second lieu, à Nyawera comme à la Place de l’Indépendance dans la commune d’Ibanda, les blocus routiers sont liés à la ruée des vendeurs sur la chaussée. Si certains enfants dits de la rue s’investissent dans la régulation routière, ils délestent, malheureusement les passants de leurs biens. L’implication de ces jeunes dans la réglementation de la circulation dans les milieux cités ci-haut est aussi un moyen d’échanger leur service en contrepartie d’un peu d’argent qu’ils obtiennent auprès des propriétaires de ces véhicules. Parallèlement, à la Place Feu- Rouge, les embouteillages sont énormes à cause d’une circulation multidirectionnelle.
Les impacts sur les usagers et commerçants nocturnes
Au niveau des usagers de la route, l’impact est de plusieurs ordres ; ces embouteillages retardent des conducteurs privés dont les programmes sont toujours perturbés causant des dommages multiformes voire des légers accidents des carrosseries de leurs véhicules, car ne maitrisant pas tous les manœuvres dans ces embouteillages. Ces embouteillages impactent également de manière négative sur la hausse du prix du transport en commun, parce qu’avec l’interruption de la fluidité dans la circulation routière sur plusieurs axes dès la tombée de la nuit, les chauffeurs préfèrent emprunter d’autres axes imputés moins embrouillés. Cette attitude crée une situation soit de rareté pour quelques véhicules de transport en commun qui décident de braver ces embouteillages avec comme contrepartie la hausse du prix du transport pour le temps perdu. Ainsi le prix du transport sur ces axes est parfois doublé voir triplé par rapport au prix diurne. En plus, certains chauffeurs se refusent catégoriquement de faire leur travail dans ce contexte de bouchons sporadiques sur certains axes avec comme conséquence la rareté de véhicules face à une forte demande des habitants qui se précipitent dans les véhicules et se disputent des places chacun cherchant comment regagner la maison après une longue journée de travail. Ces embouteillages exposent ensuite, les piétons tout comme les passagers au vol, car à Bukavu, les voleurs se constituent en bandes en se déguisant en clients-passagers pour profiter des bousculades en vue de voler. C’est pendant ces bousculades qu’ils vendent même des faux téléphones (Ngwaba ou ngwazou ) aux passants. Pour les motocyclistes, ces embouteillages ont un impact sur le taux d’accidents, car voulant s’effrayer le passage sur le trottoir et sur la chaussée, ceux-ci se lancent souvent dans la collision avec des véhicules où ils se retrouvent (motards et clients) parfois dans les pneus avec les risques d’être victimes des blessures légères,pire mortelles. D’autres meurent subitement dans ce genre d’accidents.
Cependant, du côté des vendeurs(commerçants), il a été prouvé qu’à certains endroits de la ville de Bukavu, ces embouteillages ouvrent la voie aux acheteurs qui trainent sur la chaussée le soir en vue de se procurer les produits qu’ils n’ont pas pu se procurer aux heures normales et avec l’avantage de les avoir à vil prix. C’est le cas, par exemple, des produits halieutiques comme les poisons frais, les légumes (tomates) ainsi que les viandes dont les vendeurs ne veulent pas retourner à la maison par crainte que ça ne soit pas gâté, car n’ayant pas des chambres froides où les conserver. Sur d’autres axes urbains, ces bouchons nocturnes empêchent que certains vendeurs qui prennent d’assaut la chausser ne puissent pas trouver des espaces où vendre aisément leurs produits étalés à même le sol. Pour cette catégorie les embouteillages nocturnes constituent un manque à gagner.
Note de conclusion et pistes de recherches
Le présent blog a abordé les aspects sur la règlementation de la circulation routière nocturne dans la ville de Bukavu. Le constat est que l’état a abandonné cette activité aux acteurs non étatiques structurés et non structurés. Suite à cet abandon de la mission régalienne aux acteurs non étatiques diversifiés, les embouteillages deviennent, non seulement, une opportunité économique pour certains mais aussi une perte économique pour les autres, surtout pour certains vendeurs étalant leurs marchandises à même le sol sur certains axes urbains où les bouchons freinent la circulation. Comme on le voit, la problématique de l’insécurité routière reste un casse-tête dans la ville de Bukavu. L’économie informelle qui se déploie autour de cette insécurité est aussi lucrative pour nombre d’acteurs. Du coup, la question centrale qui reste posée est celle de savoir comment juguler cette insécurité routière tout en protégeant les acteurs qui en profitent.