Bienvenu Mukungilwa & Josaphat Musamba
Le champ de sécurité dans l’Est de la république démocratique du Congo est associé à un Espace social (national) (Bourdieu, 2015) militarisé, structuré autour du capital de sécurité de ses agents (et structures). Dans cet espace, se développe un groupe dont la légitimité communautaire et interne suffit à créditer un discours protecteur des siens. Alors qu’on est dans un contexte de tension dans la région caractérisée par les contestations identitaires, les débats de déconstruction des identités localement, les oppositions entre « autochtones » et « allochtones », les pillages des vaches et razzias, contestation territoriale (création de la commune rurale de Minembwe), bref une véritable zone conflictuelle complexe. En effet, Kipupu, chef-lieu de la collectivité-secteur d’Itombwe, territoire de Mwenga, un centre administratif recueillant un nombre de plus de 500 habitants, où cohabitaient pourtant deux forces de sécurité, notamment : la Police nationale congolaise et un groupe armé du commandant Mutetezi. Ce dernier n’avait pas une présence effective dans le village en termes de contrôle territorial mais cette dernière était intermittente, surtout à travers la fréquentation de ses combattants et lui-même. Pendant l’une de ses visites, devenues familières aux habitants de Kipupu, nous avions observé une scène traduisant la réalité de certains villages et centres péri-urbains, où des groupes armés revendiquent pouvoirs de poser des actes dans la sphère publique.
En fait, un policier en uniforme et armé se présenta devant Mutetezi, se mettant au garde à vous en déclarant : « Salut mon Général ». Celui-ci accepta les honneurs et ordonna au policier de se mettre au repos d’un côté, en plus lui demanda de lui acheter des cigarettes. La scène ne surprend personne car c’est du quotidien localement. Pourtant, derrière ce geste, le rapport désavantageux des forces pour les éléments de la Police nationale congolaise se contextualise. En réalité, ces derniers furent minoritaires alors que ceux du groupe Mai Mai Mutetezi furent nombreux et semblaient être aguerris. Dans ce contexte, le groupe armé du général autoproclamé Kibukila (ou Ebuela), tout en concurrençant le monopole de la violence symbolique et physique ainsi que la légitimité de protection des populations et leurs biens à la police nationale congolaise, reproduisait des pratiques étatiques et/ou de l’armée loyaliste. Centré sur des enquêtes qualitatives, dans et autour de Kipupu au courant de l’année 2019, ce blog tente d’expliquer les interactions entre les combattants Mai Mai Mutetezi et éléments de la police nationale congolaise dans un contexte de conflictualité. Les rapports de force entre deux types d’autorité publique, la non exclusivité temporelle du monopole de la violence reconnu à l’État mais aussi la preuve que Kipupu a connu la présence de la Police nationale avant le déclanchement des nouvelles guerres civiles dans le secteur d’Itombwe. Nous focaliserons davantage notre attention sur les éléments précités.
1 Kipupu : Carte politico-socio – économique et monopole de violence Étatique en question.
Avant de rentrer dans le vif de notre sujet présenter une carte politique, social et économique et questionner le monopole de la violence Etatique, paraissent opportuns. Sur le plan politico-administrative, Kipupu est le chef-lieu de la collectivité-secteur d’Itombwe dans le territoire de Mwenga au Sud-Kivu. Bien qu’administrativement, il soit localisé dans le territoire de Mwenga, par contre, depuis décembre 1947, sur le plan politico-économique, le centre de Kipupu est plus tourné vers le territoire de Fizi, notamment Minembwe. Ceci s’explique non seulement par sa proximité mais aussi la répartition de ses habitants notamment les communautés ethniques (Bembe et Banyamulenge, Bafuliiru et Banyindu). Comme tous les autres villages dans les Hauts plateaux de Mwenga-Uvira-Fizi où cohabitent les communautés citées précédemment, Kipupu connait une situation sécuritaire instable. Depuis des décennies, les communautés ethniques dans les Hauts Plateaux de Mwenga, se sont disputées les terres et pâturages, les conflits de succession au pouvoir coutumier ont été observés connaissant un parallélisme de pouvoir, etc. Certains de ces conflits inter-ethniques ont été à l’origine de la création des milices et du renforcement des groupes armés (Mai Mai) qui se prétendent souvent d’auto-défense. L’absence des FARDC ainsi que de la Monusco dans le village, pourtant chef-lieu du Secteur (Itombwe), aurait été à la base de cette complexité. La moitié de quelques éléments de la police nationale congolaise présente sur le lieu n’a jamais suivi de formation à part le fait d’avoir été mobilisée dans les groupes armés, démobilisée puis convertie dans la police nationale. Si actuellement, les policiers sont rares dans le village de Kipupu, il faut souligner qu’avant les élections de décembre 2018 le chef de secteur avait condamné le comportement des policiers affectés dans son entité et la population les avait délégitimés et leur montré des doutes. Malgré les craintes, le chef de secteur Kaninga Kiki sollicitait l’envoie des 12 policiers par l’inspection de la Police nationale à Bukavu sans avoir eu de réponse favorable.
Par ailleurs, Marc Abélès (2014) fait savoir qu’à la fin de XXème siècle, un nombre d’Etats Africains auraient perdu le monopole de la violence parce que la coercition est devenue une sorte de marchandise. Si on peut marchander le pouvoir de coercition, bien plus l’on peut aussi contester l’autorité établie localement et concurrencer cette dernière dans la provision de la sécurité ou de la coercition. Cet argument reste questionnable s’agissant des réalités observées en RD Congo. Pourtant le débat sur le rétablissement de l’autorité de l’État est polarisé autour de l’objectivation de la présence de la police et de l’armée nationales y compris des services étatiques. Le cas tel que décrit, contraste pourtant avec ces narratifs car la police nationale était présente malgré sa délégitimation et ses relations ambigües avec les populations, les représentants hybrides de l’Etat sont aussi en permanence (chef de secteur, les notables qui sont souvent des coutumiers, chefs de villages ou sous-villages). Dans ce contexte, comment l’État ne peut-il pas revendiquer le monopole de la violence malgré qu’il soit en compétition avec un autre acteur détenteur de la violence symbolique et physique ? Si les acteurs ne peuvent pas chercher à imposer leurs pouvoirs institutionnels devant une force numériquement importante, il est clair que la collaboration ou la résignation reste une stratégie possible. Dans le cas de Kipupu, il est difficile de cerner les relations entre le groupe Mutetezi et les policiers ainsi que les autres types des pouvoirs d’un côté, subséquemment de saisir les interactions entre ce groupe armé et les communautés locales de l’autre côté
2 Complexité relationnelle entre sources de pouvoir et Mai Mai Mutetezi : « pas d’amitié entre moi et le chef rebelle »
Les relations entre les combattants du groupe Mai Mai Mutetezi (Kibukila Kitungano Aka Trésor Mputu) et les autres sources de pouvoirs sont complexes. Souvent, elles sont caractérisées par des rapports de domination, de méfiance et de résignation. Si nous avouons que le chef-lieu du secteur abrite aussi l’administration territoriale ; en revanche ses relations avec le chef rebelle n’étaient pas aux beaux fixes. Tout en préférant éviter une confrontation et un rapprochement entre lui et le général autoproclamé Ebuela (Mutetezi), le chef de secteur assurait ne plus interférer dans les affaires où ce dernier est impliqué. Devant, un adversaire plus fort, la Police nationale congolaise préfère supporter la présence des Mai-Mai plutôt que les affronter et les contester : « Ils sont nombreux, ils sont armés et ont souvent des comportements barbares. » avait laissé entendre un élément de la police nationale basé à Kipupu qui assurait l’intérim du commandant de la Police nationale lorsque ce dernier était en déplacement à Minembwe.
D’autres habitants de Kipupu, occupant diverses positions, avec un capital symbolique religieux comme des membres des églises locales appuyaient les mêmes thèses car pour eux aussi, la prudence est de mise devant les mêmes comportements en présence du général Ebuela (Mutetezi). Pour eux, Mutetezi serait capable de commettre des pires actes qui puissent exister. Bien qu’il soit un fils du terroir, dans l’hypothèse où les FARDC continuaient à traquer les groupes armés comme c’est le cas maintenant, ils pensent que la population serait en danger, surtout que cette cohabitation est avant tout une question de survie à la fois des services étatiques et de leurs agents.
Par ailleurs, plus les habitants de Kipupu semblaient supporter, accepter et légitimer la lutter d’Ebuela, à cause de son ancrage social local et ses liens parentaux, celui-ci se revendiquerait être une force d’auto-défense contre l’ethnie rivale dans les Hauts plateaux. Dans ce village presque mono-ethnique, voire mono-familial où la plupart des habitants ont des liens parentaux, le général autoproclamé fut accueilli avec fracas et enthousiasme par la population. Majoritairement Bembe Mutetezi est apparenté à plus de la moitié des habitants du village Kipupu : une socially embedded force ? Sa maison familiale, à côté de celles des tantes, oncles et cousins, fait partie de cet ensemble des cases que constituent le village. Il en est de même pour certains de ses combattants opérant dans les environs car c’est presque chaque semaine qu’ils venaient au village. En tant que natif du village et s’opposant à une des communautés rivales (les Banyamulenge), une faction de la population serait fière de lui. A son arrivée, la nouvelle se repend comme de la fumée. Plusieurs personnes viennent le saluer, tel un chef coutumier. On pose des questions courtes, après on l’écoute parler. Toutefois, il y’a des gens qui se méfient de lui, y compris même ceux de sa propre famille, préférant l’éviter, sachant ses tempéraments et sa sévérité. A la fois imprévisible et intrépide, une simple parole mal placée pourrait équivaloir à une arrestation, assortie des amandes en termes des chèvres ou l’équivalent en argent. Entre 2019, ses visites si fréquentes préoccupaient plus d’une personne, surtout chez les sages qui pensaient que le village deviendrait un champ de bataille. Les faits récents, auraient donné raison aux sages.
3 Effets inter-champs : Quand les Mai Mai s’improvisent dans les dossiers de justice et de sécurité à Kipupu
Depuis le retrait des forces loyalistes (FARDC) de Kipupu en 2018 (après une présence éphémère), les effets des conflits inter/intra-communautaires armés dont les conséquences se sont répercutées sur plusieurs villages dans les hauts-plateaux de Mwenga-Uvira-Fizi, seuls quelques éléments de la police sont restés. L’effectif global de la police fut d’à peine quatre hommes ; n’ayant ni bureau moins encore maisons d’arrêts (prison), ils se contentent de paraitre et de s’occuper des dossiers conflictuels sans ampleurs (de larcins apportés par les habitants). Pendant ce temps, Ebuela et son groupe Mai Mai circulaient à Kipupu sans aucune crainte mais aussi en procédant aux arrestations parfois arbitraires des personnes s’ils reçoivent des plaintes verbales des membres de la communauté. Ainsi, les combattants peuvent interpeler les personnes incriminées et les conduire à leur quartier général dans la brousse. C’est-à-dire, une arrestation à Kipupu mais la personne sera entendue dans la brousse où se trouvait le quartier général d’Ebuela.
L’implication des Mai Mai Mutetezi (Ebuela) dans les dossiers de justice se justifie par deux grandes motivations :D’un côté ce sont les habitants qui se rendent expressément auprès des combattants afin de solliciter la « justice punitive ». Si les habitants peuvent s’entraccuser auprès des combattants Mai Mai, il faut reconnaitre que les sages du village peuvent aussi intervenir dans le relâchement des personnes arrêtées. En tant que natif du coin, sa légitimité ne peut que se situer aux formes des loyautés et allégeances lui réservées dans le village à son arrivée. Ebuela Mutetezi était, et serait d’ailleurs considéré comme un « défenseur des autres », il est très craint comme le montre cette observation : « Quand il arrive au village, la nouvelle se repend de bouche à oreille. Tel est un chef coutumier dans son Barza, il s’installe et les gens viennent le saluer y compris les policiers. D’autres viennent lui présenter leurs civilités (tel était notre cas), d’autres encore, lui présentent leurs dossiers pour une éventuelle intervention… ».
4 Perspectives
Que retenir de cette réflexion ? Il nous revient de souligner qu’un groupe armé se considérant comme une « autorité publique » se réclamant l’exercice de pouvoir dans la vie publique comme Mutetezi, apparait à travers des contraintes ou des effets extérieurs/intérieurs à l’espace social villageois militarisé d’Itombwe. Dans les discours, ils se présentent comme une force d’autodéfense tout en revendiquant une parcelle de pouvoir. Tout en s’alignant dans une compétition avec les structures étatiques institutionnalisées (la police, les représentants de l’état), sachant que les rapports de force dans ce champ de sécurité ne penchent que du côté d’Ebuela, numériquement majoritaire et sociologiquement légitimé, la police nationale Congolaise s’était pliée aux caprices malgré elle. Bien qu’étant originaire du terroir, à cause d’une gouvernementalité rebelle de violence, il a écorné sa légitimité alors qu’il n’est pas apprécié de toutes les populations. C’est pourquoi, à travers cette présence et une cohabitation de deux sources de pouvoirs, détenant deux sous espèces de capital de sécurité (capacité à apporter un concours dans la sécurisation des populations par les hommes, se mobiliser pour combattre( donner sa vie pour la sécurisation des autres) ainsi que la qualité et la capacité des armes (blanches ou à feu), les effets de compétitions son moins visibles que ceux de domination, dont la résilience-résignation policière est une approche responsable et salutaire pour la police nationale Congolaise. C’est pourquoi, les études sur les dynamiques des groupes armés, présents au Sud-Kivu devraient davantage aborder les rapports de force ou de cohabitation entre institutions comme la police nationale congolaise et groupes armés mais aussi circonscrire la complexité de la restauration de l’« autorité de l’État » dans un contexte de contestation même de son attribut : la détention du monopole de la violence physique lorsque l’armée et la police ne sont que marginalement représentées dans une zone. Cette piste mérite un approfondissement afin de bien établir des homologies et des dissemblances entre deux phénomènes. Il se remarque que si les Forces d’Ebuela sont autonome en termes de commandements, leurs affectations, les quatre éléments de la police présent dans Kipupu le furent aussi sauf que les rapports des forces ont basculé à cause l’infériorité numérique mais aussi de la capacité de nuisance du groupe y compris de la réalisation de sa mission.
C’est intéressant
Merci beaucoup cher Eric pour votre appreciation
Nous venons de vous lire avec une attention monsieurs Benvenu et Josafath, la forme et fond de votre blog est impecable, le paralelisme et interactions socio économiques, juridiques, les cohabitations entre mai mai mutetezi et la police, FARDC, et d’autres groupes armes qui oeuvre dans les hauts plateaux sont très complexes;ce comme dans un pièce théâtrale où chaque acteurs jouent son rôle, chaque group a son territoir qu’il gère avec des limites connu par d’autres groupe…. La FARDC respect ses limites et les autres groups respect les leurs et celle des autres, si un élement de la FARDC veut aller prendre la bière ou salué son ami qui vit dans un territoire qui est geré par un group mai mai il a l’obligation de laisser son arme chez eux donc dans leur milieu respectif et se présenté lâ bas comme un civil et si un mai mai aussi veut se promené de la sorte il fait aussi mêment, ce pour dire que c’est seulement les homme du terrain qui peuvent comprendre cette realité… Votre blog me rappel bcp de réalités du haut plateaux, kilembwe, le village lekecha, mbogo na ngombe, six maisons, kiazi, ANYAKA1,2, Kwa mulima… Ce que vous venez de nous analysés dans votre travail prouve en suffisance qu’il ya pas vraiment la présence de la puissance publique dans cette contrain, il ya les opérations qui se font dans ces milieu mais après leurs passages les choses rédeviennent comme si rien était. Il faut la présence de nos fardc et la police en bon nombre et qu’ils soient actifs et outillés.
Merci beaucoup pour ce commentaire et cela montre que vous connaissez aussi ce terrain y compris les dynamiques.