Twangueuses et Sageuses au Maroc : Le quotidien des femmes dans les mines artisanales à Mukungwe

Twangueuses et Sageuses au Maroc : Le quotidien des femmes dans les mines artisanales à Mukungwe

Par Aimée MAPENDO MARHEGANE BALEMBA

Dans l’Est de la République Démocratique du Congo, particulièrement dans la province du Sud-Kivu, les femmes sont contraintes de quitter leurs villages et les milieux urbains pour travailler dans les mines malgré leurs conditions de vulnérabilité et de violence insoupçonnées. Le travail des femmes dans les mines artisanales est loin d’être facile. Il est pénible et présente de lourdes conséquences (un terrain fertile de nombreux abus, de conditions de travail difficile et dangereuse. En effet, les sites miniers sont assimilés à un véritable lieu de débauche dans le narratif dominant localisé. S’il est important de comprendre et expliquer la diversité des femmes travaillant dans le site minier de Mukungwe afin de réfléchir sur l’amélioration de leur condition de travail et renforcer leurs statut et rôle, force est de constater que les mesures prises à ce jour se concentrent moins sur le développement des femmes dans le secteur minier artisanal.

 Les sites miniers artisanaux sont nombreux en République Démocratique du Congo et chaque cas est unique. Il existe des termes utilisés par les exploitants miniers artisanaux (appropriés et employés dans ces sites) notamment : les twangueses, les sagueuses, les tamiseurs, les pelleteurs, les vanneurs, les hilux… (Josaphat Musamba et Christophe Vogel 2016).  Pourquoi les femmes viennent-elles dans les sites artisanaux miniers malgré les conditions pénibles du travail ? Selon Marie Rose Bashwira et Gemma Van der Haar (05 Mars 2020), c’est pour quatre grandes raisons : la pauvreté, chercher la sécurité, et l’opportunité économiques et la recherche d’une vie meilleure.  A Mukungwe, si les femmes s’impliquent dans l’exploitation minière artisanale, c’est principalement à cause de la pauvreté et de l’absence d’autres possibilités d’emploi ; il s’agit d’une véritable économie de survie mais aussi aucune loi, en dehors de celle qui limite les femmes enceintes et les enfants mineures, les femmes ont leur place dans cette économie locale. Selon Maria Munoz Maraver dans les femmes dans les mines artisanales en RDC, Aout 2016, « les témoignages recueillis auprès de certaines femmes et surtout les filles mineures tournent souvent autour de la pauvreté, laquelle pousse souvent ces dernières au mariage précoce en vue de trouver le bien-être … désespérées et leur rêve anéantis, elle se lancent dans les activités minières artisanales pour leur survie ».  Au-delà de la pauvreté, il y d’autres multiples raisons telles que le désir de chercher sa propre liberté, les contraintes familiales, les conflits familiaux, la mort du mari qui fut creuseur, l’insécurité…  Comment expliquer le rôle de la femme dans les mines artisanale de Mukungwe? Quels sont les défis et obstacles rencontrés par ces femmes et comment procéder afin d’optimiser la contribution des femmes dans le secteur miner artisanal de Mukungwe ?

Dans un premier temps, le site minier de Mukungwe se situe au Sud-Kivu en territoire de Walungu dans le groupement de Mushinga. Communément appelé « Maroc », ce site est sujet à un conflit foncier mobilisant trois familles se disputant une colline regorgeant un sous-sol en gisement d’or. Actuellement est géré par la famille Rubango en conflit avec celles de Kurhengamuzimu (propriétaire foncier) et Chunu (soutenue par les acteurs politiques).  Le site accueille de vieux creuseurs, des jeunes ainsi  que des enfants. Il importe de souligner qu’un nombre important des femmes (prostituées, twangeuses et sageuses, femmes PDG, femmes vendeuses et des femmes transporteuses des colis appelées Hilux) constituent une majeure partie d’acteurs. Alors que les femmes représentent 30% ou 50% de la population totale du site, il a été constaté que ces femmes sont contraintes par les aléas de la vie. C’est par exemple une ex-Twangeuse, originaire de Mushinga, avec son mari, tous déplacés de guerre, furent contraints de se diriger vers le site minier. Alors que son mari est tombé malade, elle a dû prendre en main le destin de la famille. Ensuite, une autre femme, ayait vécu une situation similaire suite à l’irresponsabilité de son mari qui ne faisait rien que boire de l’alcool et refusait les travaux champêtres, qu’elle a dû prendre les choses en main » comme un proche l’a fait savoir.

 Les rôles et les tâches féminines au quotidien dans le site minier artisanal à Maroc

N’ayant pas traditionnellement pas le droit d’entrer dans les puits, les femmes sont assignées à des tâches à la fois secondaires et de gestion, parmi lesquelles nous citons: la gestion des  puits par les femmes appelées PDG, broyer les sables aurifères (sageuses) et concasser à l’aide des mortier et des pilons les pierres aurifères jusqu’à les transformer en poudre (les femmes twangueses), objet de satisfaction sexuelle ( tache ou métier réservé aux prostituées localisées dans les périmètres des sites miniers) d’un côté et de l’autre  elles tiennent des restaurants, des boutiques, des nganda ( bistrots), elles sont commerçantes des  boissons alcoolisées et d’autres  produits de la première nécessité mais aussi ce sont des transporteuses des colis lourds connues comme des Hilux. Malgré leurs implications dans ces activités, il est strictement interdit aux prostituées d’accéder dans les carrés miniers ou dans les puits parce qu’une certaine croyance coutumière collective postule que leur présence serait à la base des éboulements, catastrophes voir même la disparition des minerais même si rien ne le prouve effectivement.

Par ailleurs, le travail de femmes dans les sites miniers à Maroc semble être automatiquement consacrée même si ce processus n’est pas exclusif aux seules femmes. En fait, en pratique les mamans « Hilux », (en référence à la jeep Toyota Hilux), transportent des sacs et les orientent vers les twangeuses qui doivent piler les pierres en les transformant en poudres ou farines, et enfin les sageuses les récupèrent. L’objectif est de les broyer entre deux grosses pierres afin d’en extraire de l’or. En réalité, ce travail de twangeuses et sageuses permet aux femmes de survivre, de pourvoir aux besoins de leurs  familles, (Supporter les ménages en payant le logement, la scolarité de leurs enfants, etc.). A travers la lutte contre la pauvreté et le chômage, ces femmes contribueraient au développent économique local de leur société car elles dépendent des revenues que procure cette économie. Subséquemment à cet argument, certaines sont divorcées, déçues par le mariage. Aussi les veuves font parties d’une large typologie des femmes twangeuses et sageuses rencontrées à Maroc. 95% des femmes (jeunes filles) ont un niveau d’études très bas ; beaucoup d’entre elles sont des analphabètes, elles ne savent ni lire ni écrire. Une tradition veut que ces femmes se convertissent dans la prostitution pendant les périodes de soudures (lors de la rareté et non production des minerais) afin de subvenir aux de leurs enfants et ceux de leurs familles.

Défis et obstacles rencontrées par ces femmes : Condition de travail et violations des droits humains à Maroc.

Les conditions de travail de ces femmes sont aussi difficiles que complexes par rapport à celles des hommes. Premièrement, les équipements sont sommaires alors que les femmes sont épuisées physiquement. Elles courent de nombreux risques de santé notamment par l’inhalation de poussières ou par l’exposition continue à des substances radioactives. Le travail est dure parce qu’elles doivent concasser des pierres à la main, moyennant des pilons et des mortiers pendant des heures alors qu’aucune mesure de protection n’est disponibilisées à ce sujet. En plus, la plupart de femmes sont exposées à des problèmes de toux, à des douleurs abdominales et ont les mains dénaturées. Elles souffrent également des maladies pulmonaires. « Je sais bien que ma santé est en danger, mais je ne dispose pas de moyens pour me faire soigner », déplore une twangeuse. La durée de travail est longue car elles y passent la nuit si le travail n’est pas fini) alors que le salaire est médiocre. En général, les femmes sont bien moins payées que les hommes pour le même travail. (3000 FC équivalent à moins de 2$US pour broyer un sac de 25kilos). « On moud des kilos par jour mais parfois on n’est pas payé parce que dans la poussières broyée le patron ne trouve pas des matières ». Une autre assure ce qui suit : « Je n’ai pas de choix, je suis obligée de broyer chaque jour un ou un et demi « Lutra ». C’est pourquoi, certaines femmes se tournent vers la prostitution pour compléter la ration. Selon madame Melesse (dans un rapport de CRDI), montre que les femmes sont principalement affectées aux taches mal rémunérées et peu valorisées au sein du secteur de l’exploitation minière artisanale et qu’elles gagnent généralement moins que les hommes. « Néanmoins, les femmes jouent un rôle essentiel dans ce secteur et représentent une importante source de revenus secondaire pour elles-mêmes et pour leurs familles », ajoute-t-elle. Si les rapports de forces sont complexes, néanmoins ces femmes sont privées du pouvoir de négociation s’agissant de leur rémunération et condition du travail.

Deuxièmement ces femmes sont stigmatisées profondément à travers les abus sexuels parfois sur des filles mineures de 12 à 17 ans victimes d’une croyance locale qui associe  la virginité des filles mineures à la chance de production de l’or : « les rapports sexuels avec des petites filles vierges portent chance (permettrait de trouver de l’or) ».

Par contre, dans d’autres cas, le souci de sécurité est évoqué car la femme joue un rôle subalterne dans la chaine de production. Le salaire dépend du bon vouloir des hommes « Travailler n’est pas synonyme d’être payée si on ne s’est pas levé avec de la chance », dit un creuseur. Si elles ont eu la malchance et n’ont broyé que des roches ne produisant que peu ou pas de poussières d’or, elles ne reçoivent que très peu d’argent ou rien, une sorte d’exploitation de la force physique féminine par les hommes à travers des croyances dominantes : « Lorsque les sables broyés n’ont rien produit comme minerais, nous aussi ne sommes pas payées ou tout simplement nous tombons victimes de l’escroquerie du chef du puit et des creuseurs. De fois, nous travaillons mais si le patron ne trouve pas de l’or dans la poudre, il ne nous paie pas… c’est aussi une question de chance » assure une Twangeuse

Problèmes sécuritaire, conditions financières et marginalisation des femmes au Maroc : Entre précarité et violation de l’intégrité physique des femmes

Pendant leur travail, ces femmes sont soumises à des strictes des contrôles par les surveillants alors que leurs conditions financières sont précaires. Dans un premier temps, la fouille de twangeuses par les propriétaires des puits viole l’intégrité des femmes allant jusque dans leurs parties intimes et cela en vue de lutter contre le vol des pierres, (certaines twangeuses cachent des grains d’or dans leurs organes intimes, ou dans leurs sous-vêtements). Pour lutter contre le vol des Twangeuses, une surveillance tout azimut est faite comme cela est dit dans ce règlement d’ordre intérieur : « une fois, les surveillants t’attrapent, tu es battue et humiliée en plein air, dans la carrière ». Si le droit d’entrée dans le site n’est pas aussi facile, par contre elles sont détentrices des cartes d’accès par le truchement de leurs associations (5 dollars américains par carte), parfois on peut se prostituer pour avoir accès dans le site : « j’étais obligée de vendre mon corps a un propriétaire de la colline pour avoir l’accès au site et recevoir un droit d’entrée parce que je n’avais pas cette somme de 5 dollars”. Outre ces conditions financières et sanitaires précaires, les femmes sont exposées à des violences sexuelles et/ou celle basée sur le genre. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « le viol et la tentative de viol mais également les agressions sexuelles, l’exploitation sexuelle, le mariage précoce forcé, la violence domestique, le viol marital et la mutilation génitale féminine », constituent des catégories des violences sexuelle et celle basée sur le genre.

Les conceptions socio-culturelles de ce qui constitue un travail acceptable pour les femmes ainsi que les croyances selon lesquelles la présence de femmes dans les mines aurait une incidence négative sur la production et la quantité de minerai extrait seraient à la base de la discrimination à l’encontre des femmes. Si les femmes étaient impliquées activement comme boiseuses, foreuses, pelleteuses, conductrices (voir Musamba & Vogel 2016 à propos de ces termes) dans les sites miniers à Maroc, cela devrait les aider.

La prostitution associée à la bêche et à la pioche à Maroc

Dans le site minier artisanal de Maroc, la prostitution est devenue une des principales activités des femmes et filles. Elles sont contraintes de se prostituer à cause d’un salaire misérable : « vivre avec 1$ par jour, on en peut plus ! Que faire ? ». « Nous sommes venues pour trouver les moyens de vivre dans ce site… nous n’avons ni bêche, ni marteau, nous donnons ce que nous avons » explique une femme. Les rapports sexuels étant rarement protégés, le risque de contracter les maladies sexuellement transmissibles est élevé à Maroc et cela à côté des grossesses non désirés ainsi qu’aux fréquents abandons des enfants. On note aussi que les mêmes les enfants ne sont pas non plus encadrés dans ce site. Certaines femmes ou prostituées accouchent des enfants qui grandissent dans le site pour plus tard devenir aussi creuseurs et prostituées, aucun encadrement ou scolarité ne sont pas assurés: « Nous les envoyons dans nos familles respectives pour qu’ils y reçoivent de l’éducation formelle et informelle ainsi que l’encadrement familial » alors que les autres se prennent en charge car leurs familles ne sont pas responsables de leurs actes: « nos familles ne sont pas responsables de nos actes et décisions, c’est pourquoi nous les élevons seuls ici même dans le site minier ».

 Si la prise en charge semble être difficile les conditions d’accouchement sont encore plus dures voire complexe au regarde de l’éloignement de structures de santé (les centres de santé ou hôpitaux). Afin d’aller consulter un médecin (pour des consultations prénatales ainsi que des accouchements), une fois enceinte, ces femmes doivent marcher sur plusieurs kilomètres Il n’est pas si surprenant que l’utilisation des boissons alcoolisée (Sapilo et machafu panya) soient associées aux antidouleurs dans certaines   mesures.

Les hommes et les femmes participent tous à l’exploitation minière artisanale en tant qu’ouvriers à différentes échelles de l’exploitation à Mukungwe. Ainsi, nous avons constaté une forte participation des femmes et des jeunes filles mineures. Comment faire donc pour les aider à améliorer leurs conditions de travail et optimiser leur contribution ? Parmi tant des solutions suggérées, figurent des possibilités de moyens de substances alternatifs, permettant aux femmes de quitter les sites miniers (Bashwira et al 2014).  Une étude estime que jusqu’à 90% de minerais produit et exporté est dans l’informel, certains sont, soit sous contrôle d’un groupe armé, soit sous contrôle d’un propriétaire foncier (exemple de Mukungwe) et ces derniers jouent le rôle de taxateurs et forces de l’ordre. (Josaphat Musamba et Vogel 2016). L’exploitation minière artisanale à petite échelle doit être officialisée, incorporée dans un cadre juridique normalisé qui est enregistré et régi par les systèmes de l’Etat central (Sara Geneen 2012).

Nous suggérons d’améliorer les lois et les politiques gouvernementales de sorte qu’elles appuient le travail des femmes dans les mines. Nous luttons contre gender inequality dans ce site minier et espérons que la promotion de l’égalité des sexes dans ce secteur profitera non seulement aux femmes, mais également à leurs familles et à la société dans son ensemble ; hommes et femmes doivent avoir tous les droits. Les droits humains de l’exploitation minière artisanale devront être respectés par tous. On devra aussi  accroitre la visibilité du rôle des femmes et des obstacles auxquels elles font face dans le secteur de l’exploitation minière artisanale de sorte que les reformes et les règlements concernant l’exploitation minière tiennent compte de la contribution de ces femmes et soient conforme aux mesures appropriées pour améliorer leurs moyens de substance.  Une pression devra être exercée sur les autorités afin qu’elles libèrent des places nécessaires pour faciliter la participation politique et civique de la femme à la gestion de son pays. Enfin nous souhaitons une alternative durable à l’extraction minière qui soit contrôlée et respectueuse des droits humains et de l’environnement, une extraction enfin qui chercherait le bien-être des personnes et non uniquement le profit des propriétaires de mines et des entreprises exportatrices des minerais. Il faudra créer d’autres opportunités et nouvelles sources de revenues pour ces femmes à Mukungwe.

En conclusion, toutes les femmes qui participent aux activités minières à Mukungwe font toujours face à la marginalisation et à nombreux défis, notamment les croyances culturelles exclusives, le risque des maladies et des violences sexuelles. Nous révélons à la fois les facteurs qui leurs poussent d’embrasser ce travail, le rôle, les défis et les opportunités qu’elles créent et saisissent à Mukungwe, et en fin nous militons pour l’améliorer de leurs conditions de travail pour optimiser leur contribution dans ce site minier.

Quelques pistes de réflexions : Le future des femmes à Mukungwe

Valoriser et sécuriser ces femmes, méprisées à cause de leur carrière de twangueses, en leur donnant les moyens d’exercer proprement ce métier (des machines pour broyer les pierres et sables et les kits d’équipements pour se protéger contre la poussière et autres dangers), Nous soutenons l’autonomisation de la femme et l’égalité du genre au Maroc.  

gecshceruki

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