« Basi Mumbuti ni Mutu ? » : La résistance Bambuti et les perceptions controversées des éco-gardes dans le PNKB au Sud-Kivu.

« Basi Mumbuti ni Mutu ? » : La résistance Bambuti et les perceptions controversées des éco-gardes dans le PNKB au Sud-Kivu.

Par Sylvie Imata & Josaphat Musamba

Introduction

Entre le 23 et le 24 Avril 2019, des violents affrontements ont été enregistrés entre éco-gardes et Bambuti à Madiriri, occasionnant la mort de deux personnes en l’espace de deux journées. On déplora la mort d’un membre de la communauté Bambuti i, qui en représailles, les Bambuti tuèrent un éco-garde de l’ICCN, alors qu’il allait s’approvisionner en nourriture au marché. Concomitamment, un autre fut grièvement blessé puis conduit au centre de santé à Miti, dans le territoire de Kabare. Des sources proches du terrain à ce temps, faisaient état d’un éco-garde abattu par les Bambuti dans la journée du 24 avril 2019. Etant donné que ce dernier était affecté au poste de patrouille de Madiriri (une localité du territoire de Kalehe) ; sa mort aurait été une goutte d’eau qui alimenta le règlement des comptes entre éco-gardes et les Bambuti. Si ces derniers vengeaient l’un d’eux, tué par les éco-gardes, il n’en demeure moins que sa mort expliquerait un conflit et des tensions chroniques autour de la conservation de la faune et la flore dans le parc national de Kahuzi-Biega. Les responsables de l’ICCN-PNKB avaient lancé un ultimatum aux Bambuti de quitter la zone au plus tard la fin du mois d’Avril 2019, les reprochant d’être à la base desdits incidents autant que de la destruction macabre des ressources de ce parc. Pourtant les Bambuti, dans leurs positionnalités, leurs conceptions et perceptions , se considèrent comme des « ayants droit » dans ces grands espaces, conditionnant ainsi leur « exit » du parc par une rétribution ou contrepartie foncière. Ils assurent être prêts à libérer l’espace, sous la seule condition que l’État congolais leur attribue des terres où s’installer. N’étant pas nomades, ces derniers brandissaient leurs « droits de premiers occupants », qui leur confèrerait des droits exclusifs d’accès aux terres comme tous les autres Congolais. 

 En effet, le parc national de Kahuzi-Biega est l’ une des vastes aires protégées dont l’administration et la sécurisation furent confiées à l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN). Issu d’une réforme foncière dans le cadre de l’aménagement du territoire, le PNKB regorge une faune et une flore constituées d’espèces animales et végétales rares (comme les Gorilles des Plaines de l’Est ou les Gorilla Beringei Graueri) et contribue à la réduction des effets de changement climatique, d’où la nécessité de le conserver. Dans ses trois missions principales, l’ICCN-PNKB est souvent confronté aux problèmes des « communautés locales riveraines surtout  celles des autochtones Bambuti »  ainsi qu’à l’épineuse question de la réoccupation du PNKB par des retournés Bambuti en 2018. Ces derniers, vivant dans et autour des aires protégées, ont résisté contre une « sédentarisation forcée ou négociée » ou alors une expulsion collective. A l’issue des dialogues tenus entre 2014 et 2019 notamment ceux de Whakatane et de Miti-centre, des questions en rapport avec problématique des terres reconnues aux Bambuti ont été soulevées en vue de renouer les rapports de collaboration entre l’ICCN-PNKB et la communauté de Bambuti. Il avait aussi été question du manque de terres reconnues aux Bambuti ( Batwa). Jusqu’à présent les relations ne sont pas au beaux fixes, les promesses restent non tenues et des réalisations moins visibles. Outre l’approche de préservation basée sur les pratiques du système socio-culturel reconnues aux communautés locales, le discours des acteurs du monde néolibéral autant que l’ICCN-PNKB et certaines Organisations non gouvernementales a plutôt basculé sur la force militarisée légitime ( représentée par les rangers ou les éco-gardes lourdement armés se lançant dans la traque des Bambuti) . Dans la province du Nord-Kivu, par exemple, des rangers s’affrontent souvent aux communautés locales alors que dans celle du Sud-Kivu, les tensions étaient perceptibles autour de Lumpumpu (Bamuguba-Sud) ainsi qu’aux environs du « couloir écologique » dans le territoire de Kabare. Si les incidents du mois d’avril ont repolitisé les relations tendues entre éco-gardes et riveraines du PNKB, les travaux produits sur les dynamiques des conflits autour du PNKB ont largement mis l’accent sur les versions des Bambuti et des ONG les accompagnant. Pourtant, les versions des éco-gardes autant que celles de l’ICCN nécessitent une attention particulière. Ainsi, les questions suivantes méritent une attention particulière : Comment peut-on expliquer les perceptions controversées des éco-gardes face à la résistance pygmée dans le PNKB ? Quels sont les discours et univers d’agencéités entre éco-gardes impliqués dans la militarisation de la préservation et conservation du PNKB au Sud-Kivu ?

Entre éco-gardes et  Bambuti : Des relations ambiguës aux perceptions controversées

« Il n’y a pas des problèmes entre nous et les Bambuti. Le problème chez eux est qu’ils détruisent la forêt, ils coupent les bois. Le véhicule de TPO, on l’avait sommé,  ils se rebellent contre tout le monde ; Mumbuti hawezi ishi kwenye Bangi haiko(Le Mumbuti ne peut vivre là où il n’ y a pas du chanvre) »,déclarent les éco-gardes.

Les relations entre les éco-gardes et les Bambuti dans le PNKB sont controversées et problématiques. Les Bambuti brandissent l’autochtonie et l’exclusivité d’utilisation des ressources du parc comme ils veulent mais l’accès à la terre (UEFA 2019) ,leur est contesté par les écogardes . En les confrontant avec les logiques urbaines, ces derniers reprochaient aux Bambuti  de tenir des discours autochtonistes creux alors qu’ils ne peuvent revendiquer des terres dans des milieux urbains comme la ville de Bukavu : « Tout le monde va sentir ce que le Mumbuti fait de ce PNKB. Mumbuti ana sema yeye njoo mwenye bulongo,si akuye kwanza tosha batu hapa Bukavu (Le Mumbuti affirme être le propriétaire terrien, qu’il vienne d’abord déloger les gens ici à Bukavu ?) Le PNKB fait étudier les Bambuti et leurs enfants, mais ils sont ingrats». Pour ces éco-gardes, les Bambuti sont des ingrats car en  plus des actions de soutien, l’ICCN/-PNKB fait étudier leurs enfants . L’incident de Madiriri a montré que des tensions entre les deux acteurs sont loin de s’éteindre. Certains Bambuti seraient aussi associés à la conservation ainsi qu’au tourisme comme éco-gardes et/ou pisteurs bien que l’on ne puisse pas comprendre et maitriser ces Bambuti attachés au chanvre (Bangi).

Si cette perception parait subjective, il importe de souligner que les éco-gardes ne devraient pas limiter la lutte et la résistance à leur propre positionnalité. Deuxièmement, pour les éco-gardes, les Bambuti ne comprennent personne, ce sont des braconniers et producteurs de Makala. Ces trois faits leur reprochés par les éco-gardes font que des attaques soient orientées vers eux. Malgré que les Bambuti sont perçus comme des destructeurs par des éco-gardes, comment ne pas reconnaitre leurs rôles comme pisteurs dans la promotion du tourisme (Conservation néolibérale des animaux) ainsi que leur participation dans la maximisation des ressources de l’ICCN-PNKB? Comment, en plus, ne pas tenir compte de leur « système socio-écologique traditionnel » de conservation et de préservation écosystémique? Et pour en finir, « les Bambuti sont des chanvriers qui ne comprennent rien ». Les éco-gardes rencontrés à Bukavu, considèrent les Bambuti comme des fumeurs du chanvre alors que le discours populiste, se rapprochant du réel local de référence Bukavien, «  fumer du chanvre » ne constitue pas une valeur dans la société. Alors que des fumeurs des chanvres soient nombreux et sachant que cette catégorie des agents sociaux sont perçus comme brutaux et violents, ces déclarations dénotent plus d’une « deshumanisation », car fumer du chanvre n’est pas synonyme de manque de motivation mais aussi ne limiterait pas la résistance des Bambuti par rapport à leurs revendications contre l’ICCN/-PNKB. C’est pourquoi, nous affirmons que les relations entre ces deux acteurs sont ambiguës et ne peuvent que joncher sur les perceptions mutuelles controversées.

Discours sécuritaro-conservationniste versus autochtoniste :  Les agencéités des éco-gardes

« Nous avons appris de nos formateurs l’importance de conserver les espèces de ce Parc. Sous aucun prétexte nous ne le laisserons sans protection car les gens non informés cherchent toujours à spolier ses ressources précieuses  par  leur cupidité ». Dans le but d’assurer une conservation et une gestion durable de la biodiversité des aires protégées de la RDC, l’ICCN s’est investi dans la lutte contre les acteurs non étatiques qui envahissent le parc national de Kahuzi-Biega à travers des activités clandestines de braconnage, d’exploitation des minerais ainsi que la production de la braise. Si un groupe réduit des éco-gardes rencontré en ville de Bukavu a déclaré avoir été disposé à conserver et à protéger les espèces du PNKB, aucun prétexte ne pourrait arrêter leurs hargnes à protéger ses précieuses ressources . Certaines ONG par contre , ayant longtemps travaillé avec les Bambuti, développent de plus en plus un discours autochtoniste, vindicatif et minoritaire en ce sens que nombre d’engagements ne sont pas respectés du côté de l’ICCN – PNKB : « Nous sommes autochtones. Premiers occupants de ce milieu. Nous ne vivons que de la chasse ; de la pêche et de la cueillette. Ces individus de mauvaise foi nous empêchent violemment d’accéder à nos ressources et utilisent des armes à feu pour nous refuser nos droits, nous allons les éliminer tous et exploiter notre forêt. Qu’ils rentrent chez eux en ville ». Néanmoins, si pour l’UEFA, l’incident d’avril 2019 serait une goutte d’eau qui a fait déborder la vase, l’ICCN ne fut pas d’accord avec cette argumentation. Malgré tout, depuis toujours les Bambuti réagissent à une forme de discrimination, aux nombreux traitements inéquitables vis-à-vis d’autres Congolais. S’ils se sentent écartés des avantages du système éducationnel; les chances d’accéder aux services étatiques et bien d’autres avantages sociaux restent si réduits. Subséquemment, l’institutionnalisation du PNKB en patrimoine mondial aussi bien que la recherche effrénée de l’argent derrière le tourisme, ont écarté les Bambuti du domaine foncier de la République. En plus d’être ignorés, la transformation du PNKB en une aire protégée a arraché et expulsé les Bambuti de leur « territoire » originel ou « Eden » comme l’avait si bien souligné un de leurs sages . Réagissant à ce propos, l’ICCN confirmait qu’une rubrique de son budget avait été allouée en appui aux Bambuti ainsi qu’aux populations riveraines pour réduire les frustrations et répondre aux revendications de ces derniers ; « Les Pygmées bénéficient gratuitement des soins médicaux à charge de l’ICCN, certains d’entre eux sont scolarisés à nos frais et d’autres travaillent ici à l’ICCN touchant leurs salaires mensuellement comme d’autres travailleurs. Curieusement, quand il s’agit de s’opposer aux non pygmées et leur faire la guerre, ils ne sensibilisent pas leurs frères à arrêter la lutte ». Ces propos sont contredits par un chercheur ainsi que certains observateurs. En marge des attaques aux éco-gardes les Pygmées s’attaquent aussi bien aux Bantus (n’importe quelle personne) qui serait de connivence avec l’ICCN pour  la conservation de la nature. Une grande bataille rangée est menée entre ceux qui soutiennent un discours sécuritaro-conservationniste contre les autochtonistes Bambuti à la recherche des espaces vitales. Malgré que certaines ONG aient pu entrer dans cette controverse, il importe de souligner que ce sont elles qui sont supposées prendre fait et cause pour emmener les autochtonistes Bambuti sur la voie de la raison à accepter  une délocalisation loin du PNKB comme solution.  

 Le  PNKB Insécurisé : La conservation militarisée reste la seule option

Le PNKB est une aire protégée dont la situation sécuritaire laisse à désirer. Plusieurs acteurs non étatiques insécurisent cet espace d’où la nécessité d’une force militaire pour protéger et préserver la flore et la faune, les Gorilles des Plaines de l’Est y compris.  Hormis des attaques revendiquées par des Bambuti , des groupes armés étiquetés Raiya Mutomboki et des groupes des bandits non identifiés manœuvreraient aux alentours du PNKB. Aussi, c’est un milieu hautement insécurisé, n’importe quand les éco-gardes peuvent y perdre la vie, raison qui justifierait leur port d’armes dans le parc : « Notre vie est très risquée ici. Nous nous sacrifions parce que nous voulons mourir Martyrs. Si nous laissons notre métier, nos petits fils ne connaitront pas des gorilles, ils ne le verront même pas et l’apprendront de l’histoire» . Des problèmes sécuritaires dans les périmètres y sont souvent signalés. Si l’ICCN est conscient de la problématique sécuritaire à l’intérieur du PNKB, ses logiques de conservation ne semblent pas s’accorder avec les valeurs véhiculées,. Ainsi pour les éco-gardes , une conservation militariste ou armée reste la seule solution : « C’est important d’utiliser les armes dans la conservation . Il y a des milices dans le PNKB ,il y a des coupeurs de route. A partir de Civanga, il y a des bandits avec des armes. Insécurité iki isha, garde hauta muona na bunduki( Si on en finissait avec l’insécurité, tu ne  trouveras  plus un éco-garde armé) ». Si certains éco-gardes de l’ICCN sont confiants par rapport à l’éradication de l’insécurité, ils espèrent par contre en finir avec cette conservation militarisée comme le soulignent les déclarations d’un éco-garde.  Un autre travaillant dans une zone différente avait laissé percevoir ces tensions entre les populations et les éco-gardes de l’ICCN : « Moi ? Je viens d’Itombwe où je travaillais avec Matabaro, on l’avait tué. La vie de conservation est une vie de risque. Même la population ne veut pas de toi, son souci est la destruction de la nature, elle ne connait pas l’importance de la nature .Vie ya conservation ni vie ya risque, ni kujitowa tu ( la vie de conservation est une vie pleine des risques) ». Les faits reportés dans le PNBK récemment, ne peuvent pas justifier un abandon immédiat de l’utilisation des armes pour régler des tensions entre les autochtonistes Bambuti   et les éco-gardes, bras séculier des conservationnistes armés et adeptes des méthodes militaristes pour assurer la sécurité du PNKB , la faune et la flore  ainsi  que la promotion du tourisme dont la sécurité doit étre un élément primordial.

Les perspectives : « Basi Mumbuti  ni mutu » ? Ils changent de position à tout moment »

Sachant que les tensions ont exacerbé les relations entre les Bambuti et les éco-gardes d’un côté mais aussi ont changé la perception de la résistance pygmée vis -à- vis des ententes et arrangements avec l’ICCN de l’autre côté, déloger les Bambuti du PNKB semble être une alternative durable selon la positionnalité des éco-gardes : « Pas de solution, les Bambuti font des réunions pour détruire la forêt, et il y a des ONG qui les appuient. L’UEFA entête les Bambuti (…) ». Pour les éco-gardes, en plus du discours autochtoniste moins cohérent, les Bambuti seraient entêtés par des ONG malgré leurs statuts des « Chanvriers ». Si les relations entre eux étaient aux beaux fixes, l’ICCN-PNKB aurait mis en œuvre plusieurs actions en leurs faveur, leurs  dépendants y compris. Alors que certains d’entre les Bambuti ont été recrutés dans la structure des éco-gardes, nombreux ne sont pas sérieux et seraient traités subjectivement d’ingrats par les éco-gardes. En plus, les indexant des personnes sans position, les perceptions des éco-gardes envers la résistance des pygmées sont de nature à les présenter comme des « hors-la-loi autochtoniste et chanvriers ». Par-dessus tout, le déplacement des Bambuti loin du PNKB serait une des solutions ultimes surtout pendant les saisons sèches car ils sont impliqués dans la production des Makala, le feu de brousse etc. selon les éco-gardes. Contrairement à cela, les tensions persisteraient et ne permettraient pas une cohabitation entre les Bambuti et les éco-gardes (ICCN/PNKB). Les études approfondies sur les positionnalités des éco-gardes envers la résistance des Bambuti soient nécessaires pour apporter une autre perspective sur les études centrées sur les approches de conservations dans les pays du Sud Global ou des travaux assez fouillés sur une diversité des pratiques pygmées localisées du type système socio-écologique dans le PNKB aideraient davantage à déconstruire une image de pygmée destructeur de l’aire protégée alors qu’il a vécu en symbiose avec la faune et la flore du PNKB depuis longtemps.

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