Par Irène BAHATI & Josaphat MUSAMBA
« Shiye tutakomalaka tu bila masomo?»1 :
« Les Enfants dans le site minier artisanal de Mukungwe face à un avenir incertain »
Irène BAHATI & Josaphat MUSAMBA
La loi n° 09/001 du 10/Janvier/ 2009, portant protection de l’enfant en RD Congo définit ce dernier comme étant toute personne âgée de moins de 18 ans. L’enfant étant un être humain en développement et vulnérable, a besoin de l’aide permanente d’une tierce personne (un adulte) afin de le guider et de le rendre utile à la société.2 La réalité observée en RD Congo en général, au Sud-Kivu en particulier contraste avec le référentiel juridique protégeant l’enfant. Perçus comme une force de travail non négligeable (Jeséquel 2006), certains enfants sont abandonnés à leur triste sort au lieu d’être guidés et sécurisés alors qu’ils sont impliqués dans les travaux lourds et dangereux à l’instar de ceux exercés dans les mines artisanales.
Le concept « enfant » dans le secteur minier, n’apparait qu’en cas des sanctions et infractions encourues par celui qui commet une contravention en violant les droits des femmes et des enfants. Nulle part est mentionné le travail des enfants dans les sites miniers (Code Minier, 2018: Art229bis). Aussi, est-il que l’article 5 déclare l’inéligibilité des femmes enceintes. De même, si le code minier révisé en Mars 2018, reste ambiguë quant à la présence des enfants, force est de constater que certaines dispositions rendent inéligibles les mineurs dans le secteur minier artisanal (Code minier 2018: Arti 26 al 1, Art 27 al1, b) alors que leur présence persistante est constatée dans certains sites.
Les enquêtes organisées dans les sites miniers artisanaux de Mukungwe (Groupement de Mushinga, territoire de Walungu, au Sud-Kivu), révèlent une « présence permanente des enfants » exerçant des travaux, théoriquement réservés aux exploitants artisanaux. La biotypologie suivante spécifie les travaux des enfants dans ce champ de production minière artisanale : Twangeurs3, sageurs4; concasseurs et/ou pelleteurs (Musamba & Vogel 2016), auxquels s’ajoutent ceux des exploitants artisanaux (creuseurs). La présence des enfants dans ces sites s’expliquerait entre autres par la pauvreté 53, 3% (elle se présente comme un facteur clé expliquant la présence permanente des enfants dans ces sites selon les points de vue des acteurs rencontrés sur place). La pauvreté légitimerait la présence des enfants dans le site minier à travers les discours attribuant soit le chômage à leurs parents; le décès des parents les contraignant à travailler dans les mines ainsi que le manque des frais scolaires, etc (Dibwe 2001 ;Petit 2003). Ces enfants, faute de poursuivre leurs études voire de les commencer, sont contraints de travailler afin de pourvoir à leurs besoins et à ceux de leurs familles, et sacrifient ainsi leur avenir sur l’autel de l’exploitation artisanal de l’or. En quelle mesure, l’accumulation de capital de production artisanal de l’or à Mukungwe impact-t-elle la possibilité des enfants à accumuler un capital scolaire? Quelles sont les perspectives d’avenir pour ces enfants ?
Nos enquêtes ont démontré que la plupart des enfants œuvrant dans ce site sont orphelins et occupent des grandes responsabilités au sein de leurs familles respectives étant donné qu’ils subviendraient aux différents besoins familiaux et contribueraient à leur épanouissement économique. En plus, ces derniers (enfants) font partie intégrante du déroulement des activités de production de leurs familles (André & Godine 2012) comme le témoigne, l’extrait ci-après:
«J’ai rejoint le site de Mukungwe à 9ans quand mon père était mort. Ma mère est devenue maladive. Nous étions à 7 enfants, mais quatre de mes frères étaient aussi morts juste après mon père. Avec toutes ces difficultés, j’ai été obligé de suppléer ma mère et aider ainsi mes deux petits frères à survivre; c’est comme cela que je suis entré dans ce site, j’ai aujourd’hui 13 ans d’âge. J’aimerai que l’Etat Congolais puisse nous faire sortir d’ici et nous scolariser comme tous les autres enfants»5.
Dans cet environnement incertain, les enfants sont astreints aux lourds et intenses travaux, les exposant aux maladies et d’accidents mortels. Travaillant sans relâche, dans un contexte de d’absence des mesures de protection assimilable, à une forme d’esclavage des temps modernes (Kitenge, 2014). En moyenne, ils font onze (11) heures de travail par jour6. Ces enfants sont autant soumis aux stupéfiants qu’à la drogue, aux violences physiques, mentales et/ou sexuelles d’un côté et à des blessures, des maladies comme tous les autres acteurs occupant diverses positions dans des sites miniers par manque de repos de l’autre côté. Alors qu’ils devraient bénéficier d’une attention particulière de leurs parents et de loisirs, dès le plus bas âge, ils s’activent pour les travaux des mines. Ainsi sont-ils privés de la scolarisation étant donné qu’ils sont considérés comme une main d’œuvre permanente et moins coûteuse. Outre les raisons sus-évoquées, justifiant la présence des enfants dans les sites à Mukungwe, les intentions personnelles des enfants ne sont pas à négliger. Cette dimension est la moins explorée par certaines études sur Mukungwe (Geenen & Claessens 2012 ; 2016) en marge des celles effectuées dans le Katanga particulièrement (Makal & Katenga 2018; Musao 2010; André & Godin 2012). Matabishi, âgé de 15 ans,twangeur de son état, rencontré en son lieu de travail dans les lutras nous en dit plus:
« Depuis que je travaille ici, cela fait bientôt 4 ans, je ressens des douleurs dans la colonne vertébrale, douleurs liées au transport des lourds sacs de sable et graviers, je me sens de plus en plus affaibli. Je n’ai pas de moyens pour aller à l’hôpital. Ma mère qui pouvait s’occuper de moi nous a abandonnés et s’est remariée à Bukavu, on se voit plus. Mon père vit avec une autre femme et ne veut pas qu’on lui expose nos problèmes. Je demande à l’Etat congolais de nous sortir de ces conditions à l’instar des enfants qui vivent en ville et qui vont à l’école; nous sommes tous enfants et avons droit à une même éducation »7.
Ces propos nous renseignent sur deux choses importantes: d’un côté, les problèmes conjugaux entre maris et femmes peuvent avoir des impacts sur la stabilité de la famille et des enfants; de l’autre, l’enfant est désespéré tant il ne sait plus quoi faire. Par conséquent, il se lance dans ce champ de production artisanale des minerais tout en étant informé de conséquences qu’engendrent des travaux des mines.
« Tutakomalaka tuu hivi bila masomo? » : Une inquiétude inquiétante?
En scrutant les récits de vie des enfants, on se rend compte que la plupart d’entre eux ont perdu espoir. Ils jugent leur avenir sombre. L’exemple le plus éloquent est celui d’un petit Twangeur exprimant son inquiétude en ces termes: « sijuwe tulifanyaka nini ju shiye tukutaniwe mwaiyi ma hali. Benzetu batoto bote bako ku masomo, manake shiye tutakomala tu ivi bila masomo ? » traduisibles en « je ne sais pas ce que nous avions fait pour nous retrouver dans cette situation. D’autres enfants sont à l’école. Nous allons donc ainsi grandir sans instruction? ».
Moralité : ces enfants, condamnés à travailler à longueur des journées, ne pensant à autre chose qu’à leurs taches quotidiennes dans le site minier; n’allant pas à l’école pour y tirer l’éducation nécessaire pour leurs épanouissement, ces enfants voient leur avenir sombre car ils n’ont pas les mêmes chances que ceux qui sont scolarisés. Alors que parmi ces derniers sortiront des cadres de l’administration publique, des acteurs politiques, des magistrats, des médecins, des chercheurs, etc. Ceux œuvrant dans les sites miniers se sentent abandonnés, leur avenir étant incertain, car ne pouvant prétendre occuper aucun poste de responsabilité dans la société. Si les bancs des écoles sont désertés au niveau élémentaire pour alimenter les sites miniers, comment-envisager le capital humain congolais dans le futur?
En dépit du travail dur et des conséquences néfastes dans le secteur minier artisanal, ces enfants accumulent un capital culturel important dans les techniques de production artisanale des minerais. Il est difficile de les souligner que seuls les aspects déclarés par les enfants soient tous vrais. Toutefois, il est mieux de creuser davantage afin de comprendre pourquoi, dans certains sites miniers, les enfants ne sont pas associés aux activités minières artisanales alors que dans les autres ils soient tolérés. Etudier ce phénomène n’est-ce pas une manière de repolitiser la problématique de la traçabilité minière dans le secteur artisanal aurifère et les défis qui l’entourent? Si les enfants peuvent être interdits de fréquenter ou d’être affiliés aux activités minières dans les sites 3T (Coltan, Cassitérite et Wolframite) où l’étiquetage des minerais est effectif, pourquoi dans les sites aurifères cela n’est-il pas possible? Quels en sont les défis ainsi que les limites?
Etant donné qu’investir aujourd’hui dans les enfants, en termes d’éducation, donne dans le futur du capital humain capable de contribuer à la destinée du pays. Ainsi, il serait opportun de penser à un monde où les enfants soient assurés d’un départ solide dans la vie, accèdent à une éducation de base cohérente où les possibilités de développer leur personnalité, dans un environnement sain, soient offertes. De ce fait, des projets de développement local et plaidoyer, pour assainir le secteur minier artisanal dans la lutte contre la présence des enfants dans ces sites, méritent d’être mis en place en vue de leur réinsertion soit dans les écoles ou des centres de récupération pour enfants. Envisager un mécanisme local de surveillance et d’alerte sur la situation des enfants dans les mines artisanales est un impératif à Mukungwe. Finalement, la police des mines à Mukungwe ainsi que les services de SAEMAPE8, devraient se sentir interpellés, par rapport à leurs pouvoirs de régulation dans ce champ. C’est pourquoi, une réflexion sur comment on pourrait repenser l’avenir scolaire et humain des enfants associés aux activités d’exploitation minière artisanale à Mukungwe ainsi que dans la province du Sud-Kivu apporterait un éclairage quant à ce pendant que le secteur mérite des successeurs dans ce métier.
1 Extrait des propos d’un enfant dans le site minier de Mukungwe et ceci pour dire, « nous allons seulement grandir sans éducation scolaire ? »
2 Convention portant sur la protection des droits de l’enfant en RDC, 2009, p.5
3 Mot emprunté du swahili signifiant concasseur
4 Néologisme adopté de mot swahili ‘saga’ broyer. Ceux qui broient sont appelés des « sageurs »
5 Entretien avec le petit Mugisho rencontré dans les mines de Kalanga, un de site minier de Mukungwe.
6 Nos enquêtes sur terrain.
7 Entretien avec le petit Matabishi rencontré dans les mines de Kalazi, un de site minier de Mukungwe
8 Service d’assistance et d’encadrement de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle